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commencée par un temps houleux. Chacun descendait déjà du train, lorsqu’une seconde dépêche est venue rassurer sir Charles Wilson : la mer s’était calmée. Tout était donc prêt ; on pouvait partir. Mais un des rebelles s’aperçoit subitement qu’une des femmes de son harem était restée à la maison ; sir Charles Wilson se précipite pour la chercher ; il la ramène, elle monte dans le train ; personne n’y manque ; la locomotive file. Quelques heures plus tard, les hommes qui avaient joué un si grand et si triste rôle en Égypte, embarqués sur la Mer-Rouge, voyaient fuir les côtes d’un pays dont ils ont détruit l’indépendance, peut-être pour toujours !

J’ai besoin de dire, en finissant, que tout ce qui précède est rigoureusement exact, que j’ai plutôt affaibli qu’exagéré la vérité, que je n’ai pas cherché les détails comiques et pittoresques en racontant le procès d’Arabi, pas plus que je n’avais cherché les détails dramatiques en faisant le récit du pillage d’Alexandrie, les Anglais, je le crois, se sont lourdement trompés lorsqu’ils ont donné aux Égyptiens une parodie judiciaire qui a persuadé plus que jamais à ceux-ci que le droit n’était autre chose que la force déguisée sous un nom européen. Ils n’avaient pas besoin de cette nouvelle cause de démoralisation. L’avilissement suprême des chefs de l’insurrection, leur lâcheté, leur abandon d’eux-mêmes et de leur cause avaient déjà produit en Égypte une impression de dégoût et de scepticisme épouvantables. On ne saurait croire jusqu’où est descendu ce pays qui, un instant, a failli croire à l’honneur, à la justice, à l’honnêteté. Tout y est ébranlé. Aucune institution, aucune croyance, aucun principe n’a résisté aux orages qui l’ont si complètement secoué et brisé. Il lui restait cependant un certain sérieux dans la conduite extérieure, un certain respect des formes et des apparences. Cela même a disparu devant les leçons du procès d’Arabi, devant le dédain éclatant des lois, l’insouciance pour l’opinion, l’absence de tout sentiment du ridicule dont cette malheureuse affaire leur a donné le spectacle. On ne les convaincra plus désormais que ceux qui les ont traités avec cette désinvolture morale leur soient supérieurs autrement que par la puissance militaire. Ils s’inclineront toujours sous cette dernière ; mais, en s’inclinant, ils n’éprouveront aucun respect pour leurs nouveaux maîtres. C’est ainsi que, jusqu’au bout, Arabi et ses complices auront fait du mal à cette Égypte qu’ils prétendaient aimer et sur laquelle ils n’ont attiré que des désastres.


GABRIEL CHARMES.