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l’amiral, le remplit de terreur, de méfiance, de jalousie, de haine. Tavannes le dit hautement dans ses Mémoires : la reine mère, se croyant perdue et craignant d’être renvoyée à Florence, tremblant pour son fils favori, le duc d’Anjou, a pris un grand parti, elle le cache encore au roi, mais «  elle a résolu, avec deux conseillers et Monsieur d’Anjou, la mort de l’amiral[1].  »

Coligny était retourné à Châtillon quand il apprit que Catherine avait suivi le roi ; il se décide à revenir, laissant sa femme grosse ; il ne veut pas que le roi soit livré aux seuls conseils de la reine mère. Au moment où il monte à cheval, une paysanne se jette à ses pieds, lui embrasse les genoux, le supplie de demeurer, lui prédisant que, s’il va à Paris, il mourra avec tous ceux qui iront avec lui. Coligny en arrivant trouve le roi honteux, indécis, inquiet. Il obtient cependant qu’on réunisse un conseil et qu’on n’y admette que des hommes d’épée : le duc de Montpensier, le duc de Nevers, le maréchal de Cossé. Il plaide encore une fois en faveur des Pays-Bas et demande qu’on venge Genlis, qu’on déclare ouvertement la guerre à l’Espagne ; ne pouvant entraîner le conseil, il dit au roi qu’ayant promis appui et secours au prince d’Orange, il s’efforcera de l’aider lui-même avec tous ses amis, parens et serviteurs, et, se tournant vers la reine mère, il ajoute : « Madame, le roi se refuse à entreprendre une guerre ; Dieu veuille qu’il ne lui en survienne pas une autre, dont il ne sera peut-être pas en son pouvoir de se retirer ! » Catherine ne dit rien, mais, après le conseil, elle interpréta les paroles de l’amiral dans le sens de la menace.

Charles IX autorisa l’amiral à faire, en son nom personnel, des levées d’hommes et à les envoyer aux Pays-Bas, il lui fit donner de l’argent pour la solde des gens de guerre. Coligny espérait toujours entraîner, au moment donné, son souverain, et il ne voulait pas ouvrir l’oreille aux avis sinistres qu’on lui donnait de tous côtés. Il disait que « l’homme n’auroit jamais repos, s’il vouloit interpréter toutes occurrences à son désavantage, et vaudroit mieux mourir cent fois que vivre en pareil soupçon ; qu’il étoit saoul de telles alarmes, que la longue suite de ses vieux ans n’avoit esté que trop rompue de semblables frayeurs ; bref, à tout événement, il avoit assez vescu.  » Sa confiance dans le roi était si grande qu’il avait conseillé au jeune roi de Navarre et au prince de Condé de venir à Paris. Au reste, leur arrivée ne pouvait plus être beaucoup différée, car Catherine de Médicis avait pris sur elle d’annoncer le prochain envoi de la bulle de dispense sollicitée à Rome par l’ambassadeur de France. Les fiançailles eurent lieu au Louvre le 17 août et, le lendemain, le cardinal de Bourbon célébra le mariage.

  1. Mémoires de Tavannes.