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mystères de l’eucharistie. Il projetait d’introduire des réformes dans le culte protestant, qu’il trouvait non sans raison trop bavard, trop discoureur ; il rêvait d’y faite une place aux arts et aux symboles. Il a composé lui-même une liturgie, de même qu’il a écrit un traité sur le diaconat.

Son piétisme et sa théologie avaient peu d’influence sur ses opinions en matière de littérature. Il interdit au grand sculpteur qui a fait la statue équestre de Frédéric II de faire figurer Voltaire dans les bas-reliefs dont elle est ornée ; il ne laissait pas d’admirer passionnément le style et l’esprit de Voltaire. Nous tenons de bonne source qu’il dit à une de ses nièces qui lisait Athalie : « C’est fort bien, mais priez donc votre professeur de lire avec vous Candide ; c’est le livre des livres. » On se représente l’embarras du professeur. Mais, dès qu’il s’agissait des affaires de l’état, il cessait d’être tolérant. Il était arrivé au trône dans le temps où la philosophie hégélienne régnait en souveraine, dominait les universités et le ministère de l’instruction publique, dans le temps où les théologiens eux-mêmes se piquaient de trouver une bible dans Hegel et Hegel dans la bible : den Hegel zu bibeln und die Bibel zu hegeln. Il se fit un devoir d’y mettre bon ordre, il n’admettait pas qu’un homme qui ne pensait pas bien pût être utile à son roi, qu’un hégélien pût être un fonctionnaire fidèle ou un bon administrateur. Aussi était-il trop exclusif dans ses choix, et trop souvent il appela à de grands emplois des incapables qui pensaient bien. Comme l’a dit un de ses plus fervens admirateurs, « il s’était donné pour mission de déployer dans un état qui était une des grandes puissances de l’Europe l’étendard des éternelles vérités de la foi et du droit contre l’esprit de mensonge et dénégation du siècle. » Lui-même déclarait que sa suprême ambition était d’être « un roi chrétien dans un pays chrétien. » C’était un noble désir ; mais nous vivons dans un siècle où les souverains ne doivent plus prétendre au gouvernement des consciences.

Ce n’est pas que son piétisme le rendît indifférent à la grandeur de son pays et qu’il n’eût aucun goût pour les entreprises. Dès sa plus tendre jeunesse, sa mère constatait qu’il avait une vive imagination, et l’imagination produit l’inquiétude de l’esprit. Un illustre ministre qui en avait beaucoup, a déclaré que c’est la qualité maîtresse de l’homme d’état : « Ce n’est pas la raison, disait-il, qui a assiégé Troie, qui a fait sortir les Arabes de leurs déserts pour conquérir le monde, qui a inspiré les croisades, qui a enfanté la révolution française. L’homme n’est vraiment grand que lorsqu’il agit par passion, il n’est irrésistible que lorsqu’il en appelle à l’imagination. » Mais les grandes imaginations sont un péril et un fléau quand elles ne sont pas accompagnées de ce génie qui est l’instinct dû possible, et encore l’homme