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surtout qu’une telle aventure convenait peu à son caractère, et il dit aux délégués du parlement : « Si j’étais Frédéric II, j’accepterais peut-être ; : mais je ne me prêterai jamais à jouer un rôle pour lequel je ne me sens aucune vocation. »

A quelque temps de là, pour se dédommager de son refus, il essaya de créer dans le nord de l’Allemagne une union d’états dont la Prusse aurait eu l’hégémonie. L’Autriche, remise de ses malheurs et conduite par un homme qui aimait à parler haut, le somma de renoncer à son projet. Il fut tenté de relever le gant ; mais, après de violens combats intérieurs, il entra en composition, il fit amende honorable, il envoya son ministre à Olmütz essuyer les hauteurs du prince de Schwarzenberg, et, à coup sûr, cette coupe lui fut amère. Une fois encore, il avait sauvé l’avenir. « On paraît avoir oublié, dit à ce propos M. Wagener, qu’en 1866, quoique nous eussions achevé la réorganisation de notre armée, nous avons couru de grands risques et joué notre va-tout en Allemagne ; que le roi Guillaume a eu besoin de tout son courage et de tout le talent de ses généraux pour nous mener à la victoire, et que, malgré tout cela, nous aurions succombé à l’habileté supérieure de l’homme qui dirigeait nos affaires étrangères n’avait su nous assurer la neutralité de la France et de la Russie. »

Enfin on a reproché à Frédéric-Guillaume IV les allures indécises et louvoyantes de sa politique durant toute la guerre de Crimée. Sa situation était fort embarrassante. Il était en butte aux obsessions des puissances occidentales et de l’Autriche, qui mettaient tout en œuvre pour le faire sortir de sa neutralité. Il était décidé à rester neutre, mais il aurait voulu ne chagriner et ne blesser personne. Quoiqu’il n’eût pas toujours à se louer des procédés de son beau-frère, les liens de famille, une vieille amitié, les souvenirs de la sainte alliance ne lui permettaient pas de s’unir aux ennemis de l’empereur Nicolas. Il éprouvait d’ailleurs une insurmontable répugnance à entrer en liaison avec Napoléon III, en qui il croyait voir la révolution couronnée. Il lui en avait coûté plus qu’à tout autre souverain de reconnaître ce parvenu. Il prévoyait que, dans l’intérêt de sa dynastie, l’héritier du grand empereur chercherait des aventures au dehors, sans prévoir toutefois que ses entreprises tourneraient à notre perte, et que, si l’oncle avait travaillé pour l’Angleterre, le neveu travaillerait pour la grandeur de la Prusse. Cette expérience que nous avons payée cher nous a rendus circonspects. Mais que sert la sagesse ? Si correcte que soit notre conduite, on nous prête de noires intentions, on nous accuse de troubler la paix du monde, on nous adresse d’insolentes mercuriales sur ce ton d’huissier rogue et malappris qui est propre aux feuilles officieuses de Berlin :