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Tonkin, cédant de plus une province destinée à être annexée à la Cochinchine. Évidemment le traité qui a été signé à Hué, il n’y a que peu de jours, tranche une difficulté et simplifie la question de ce côté en mettant fin à l’intervention plus ou moins militaire, plus ou moins régulière des Annamites dans les affaires du Tonkin. Il y a quelques semaines, avant la fin de la session, M. le ministre des affaires étrangères, pressé d’interpellations, ne pouvait parvenir à dire si nous étions en guerre ou en paix avec le royaume d’Annam. Il paraît bien que c’était la guerre, puisqu’il y a aujourd’hui un traité de paix. Soit ! Seulement, ce serait, sans doute, une singulière illusion de se figurer que tout est fini. Si nous n’avons plus à combattre les Annamites, nous ne sommes pas sûrs de ne point rencontrer bientôt les Chinois ; nous ne connaissons pas même la nature de nos relations avec la Chine. Le Tonkin ne cesse pas d’être rempli de bandes qui ne seront pas très différentes parce que les Annamites auront déposé les armes. » En un mot, c’est toujours l’inconnu, et c’est là précisément ce qui fait que l’opinion reste en défiance à l’égard de ces expéditions lointaines propres à dévorer obscurément les hommes et les millions. Elle se défie d’autant plus qu’elle ne saisit pas la vraie pensée du gouvernement et que, d’un autre côté, tandis que nous dispersons nos forces au loin, il peut s’élever plus près de nous, à nos portes mêmes, d’autres dangers, d’autres difficultés, d’autres questions dont la politique de la France doit être avant tout préoccupée.

Quelle est aujourd’hui la situation de la France en Europe ? On aurait beau vouloir se faire illusion, elle n’a rien de brillant ni de sûr, et ce qu’il y a de plus triste, c’est que, dans cette situation assez critique, assez délicate, s’il y a des inconvéniens qu’il faut savoir accepter parce qu’on ne peut pas les éviter, il y en a d’autres auxquels on aurait pu échapper avec une politique plus réfléchie, mieux coordonnée. Oui, avec un peu plus d’esprit de suite et de prudente fermeté, avec un peu plus d’art, si l’on veut, on aurait pu éviter bien des embarras, bien des incidens qui se sont aggravés ou accentués surtout depuis la fatale crise égyptienne et qui pèsent maintenant sur la France, qui la laissent seule en face de toutes les éventualités. Ce n’est point sans doute qu’à cette heure précise où nous sommes, il y ait un danger prochain, une menace de complication sérieuse pour demain. Le sentiment de la paix est heureusement encore assez puissant, il faut le croire, pour dominer les volontés agitatrices. Il n’est pas moins clair que, dans cette saison d’été ou d’automne, il se produit en Europe un assez grand mouvement qui n’est pas sûrement l’œuvre du hasard, qui a ses raisons et ses secrets. De toutes parts, depuis quelques semaines, souverains et ministres sont en voyage, se cherchant, se croisant, et paraissant reprendre sans cesse une conversation interrompue. Une première fois le chef de la chancellerie autrichienne, le comte Kalnoki, a été