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vases faits d’une argile impure, façonnés à la main, imparfaitement polis, et portant pour tout ornement, sur leur surface grise ou noirâtre, des lignes et des ronds, c’est-à-dire la première décoration dont se soient avisés les hommes. Évidemment ceux qui se servaient de ces vases, et qui n’en avaient pas d’autres pour leurs usages, étaient presque encore des barbares ; mais ces barbares n’étaient pas gens à se complaire en leur barbarie, et ils ne demandaient pas mieux que d’en sortir ; ce qui le prouve, c’est qu’auprès de ces poteries primitives on a trouvé des morceaux d’ambre venus de la mer du Nord, des scarabées ou des coupes apportés par les Phéniciens, et, dans les tombes plus récentes, quelques vases avec des figures archaïques d’origine grecque. Ces gens-là, si grossiers, si sauvages en apparence, avaient donc le goût d’un art plus relevé ; ils n’en dédaignaient pas les produits, ils accueillaient bien les marchands qui les leur faisaient connaître et probablement les payaient très cher.

Ce caractère est frappant chez les plus vieux Romains. Niebuhr affirmait, nous venons de le voir, que Rome dans son orgueil « méprisait tous les élémens étrangers. » C’est justement le contraire qui est la vérité. Elle avait sans doute une grande opinion d’elle-même, elle a pressenti de bonne heure le rôle qu’elle devait jouer dans le monde ; mais cette fierté légitime n’a jamais dégénéré chez elle en amour-propre ridicule. Elle ne méprisait pas ses ennemis, même après qu’ils étaient vaincus ; elle savait reconnaître ce qu’ils avaient de bon, et au besoin elle se l’appropriait. « Nos aïeux, disait Salluste, étaient des gens aussi sages que hardis. L’orgueil ne les empêchait pas d’emprunter les institutions de leurs voisins quand ils y voyaient quelque profit. Leurs armes sont celles des Samnites ; ils doivent aux Étrusques les insignes de leurs magistrats. Toutes les fois qu’ils trouvaient chez leurs alliés ou leurs ennemis quelque chose à prendre, ils s’appliquaient à l’introduire chez eux. Ils aimaient mieux imiter les autres que de les jalouser. » Voilà les véritables dispositions de ce peuple ; s’il se montre quelquefois complaisant jusqu’à la vanité pour lui-même et dédaigneux de l’étranger jusqu’à l’impertinence, c’est pure comédie. L’attitude qu’un Romain croit devoir prendre devant le monde, sa façon de parler, lorsqu’on l’écoute, sa manière d’agir, quand on le regarde, ne sont pas toujours conformes à ses vrais sentimens. C’est ce qu’on remarque dans ses rapports avec les Grecs : sans doute, il affecte de s’en moquer en public, mais il lui est impossible de se passer d’eux, et nous devons être certains que dès le premier jour qu’il les a rencontrés, il a subi, sans pouvoir s’en défendre, l’ascendant de cette race spirituelle et insinuante, qui lui apportait de si beaux ouvrages et lui faisait de si bons contes.