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le peuple est rassasié de ces grands mouvemens, de ces grands spectacles qui ont produit de grands malheurs autour de lui, sans de grands avantages pour lui. Il sent enfin le besoin de repos et celui de l’ordre.

« Vous voulez qu’on éclaire, qu’on dirige l’opinion ; mais avant de la diriger, il faut la redresser. Ne voyez-vous pas que, semblable à l’aiguille de la boussole dans la tempête, elle est devenue folle, qu’elle est pervertie ou égarée sur les premières notions de la morale ou de la politique ? Qu’attendez-vous de l’opinion dans ce temps de délire, où l’esprit de faction a ôté le ridicule à l’absurde, l’horreur au meurtre, l’estime à la vertu ?

« Sera-ce pour les hommes de parti que j’écrirais ? La raison et l’esprit de parti sont des ennemis qu’aucun traité ne peut rapprocher, et l’esprit de parti parmi nous a pris un caractère qui le rend plus intraitable encore. Ce n’est pas seulement l’intolérance d’opinion et la jalousie du pouvoir qui le constituent comme partout ; il se joint à ces sentimens un intérêt personnel qui en irrite la violence.

« Des hommes que des passions féroces, ou un fanatisme insensé, ou simplement une coupable faiblesse, ont rendus complices des crimes qui ont désolé et déshonoré la France, repousseront toujours de toutes leurs forces et la raison qui les condamne et l’humanité qui les accuse.

« Ceux qui n’ont rien respecté voudraient qu’on respectât leurs écarts, leur ignorance, leurs crimes mêmes ; voilà d’où vient l’embarras de cette faction, la versatilité de ses plans, l’inquiétude de ses mouvemens. Mais c’est le danger où elle se trouve qui la rend plus dangereuse. Quel rôle voulez-vous que la raison joue au milieu de ce chaos ?

« Il n’y a de conduite utile en ce moment que celle qui saura opposer les intérêts aux intérêts, la finesse à la ruse, la prudence à l’intrigue, des demi-vérités aux erreurs ; mais cette conduite ne peut convenir qu’à l’homme public qui, placé au milieu des affaires, doit tendre à son but par les voies les plus sûres. Elle ne convient pas au philosophe, qui, en traitant des principes éternels de la morale et de la raison humaine, ne doit aucun ménagement aux passions, aux préjugés, à l’erreur.

« Aussi la philosophie, qui n’a pas conduit cette révolution, qu’elle avait préparée, ne la terminera pas non plus, mais elle apprendra peut-être à en profiter. »

Les jacobins, que François de Pange continuait à attaquer avec énergie, et qu’il jugeait avec cette fermeté de vues, tenaient encore entre leurs mains une autorité compromise et défaillante. Ils avaient