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d’une confession. N’y avait-il pas encore d’autres sujets plus délicats, qui, dans les conversations, revenaient souvent sur les lèvres éloquentes de Mme de Staël ? Le divorce inspire, on le sait, la lettre célèbre de M. de Lébensée dans le roman qui nous montre les pensées secrètes, les opinions vraies du milieu social où se rencontraient Mme de Beaumont et ses amis. Il est impossible de ne pas croire qu’avant de prendre une résolution qui n’était pas, théoriquement du moins, de l’opinion de Joubert, Mme de Beaumont n’ait pas entretenu Mme de Staël de son projet. Elle reconnaissait tous les inconvéniens du divorce, mais elle disait que c’était aux moralistes et à l’opinion de condamner ceux dont les motifs ne paraissaient pas dignes d’excuse. Elle ajoutait qu’au milieu d’une société civilisée qui avait introduit les mariages par convenance, les mariages dans un âge où l’on n’a nulle idée de l’avenir, la loi, en interdisant le divorce, n’était sévère que pour les victimes. Un seul obstacle arrêtait le raisonnement quand la conversation devenait plus personnelle : la foi catholique consacrait l’indissolubilité du mariage.

Mme de Staël, profondément spiritualiste, élevée par un père et une mère protestans convaincus, ne pouvait voir sans répugnance l’insouciance et la légèreté qu’on affectait pour les idées religieuses ; s’il n’était pas donné à son esprit de se convaincre sur un tel sujet par des raisonnemens positifs, la sensibilité lui apprenait tout ce qu’il importait de savoir. Sa puissance d’aimer lui faisait sentir la source immortelle de vie. Elle n’avait pas moins horreur du néant que du crime, et la même conscience repoussait loin d’elle tous les deux. Est-ce que Delphine n’écrivait pas à Léonce : « Je douterais de votre amour pour moi si je ne pouvais réussir à vous donner au moins du respect pour ces grandes questions qui ont intéressé tant d’esprits éclairés et calmé tant d’âmes souffrantes ? »

Mme de Beaumont avait été aussi religieusement élevée qu’en pouvait l’être dans la haute société du XVIIIe siècle. Une seconde éducation lui avait été ensuite apportée par ses lectures, par les jeunes et distingués amis qui l’entouraient. Les forfaits de la révolution, le triomphe des ennemis implacables de sa famille, les malheurs sans nombre qui l’accablèrent amenèrent une troisième éducation. Elle douta quelque temps, selon ses expressions, de la justice divine et de la Providence[1]. S’il fallait un témoignage indiscutable du trouble de ses croyances religieuses, nous le trouverions en 1798 dans la lettre d’une pauvre servante attachée pendant de longues années à la maison Montmorin, Mlle Michelet. Nous apprenons aussi par elle l’état des affaires de Mme de Beaumont. Un partage et un

  1. Mémoires d’outre-tombe.