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firent toutes les démarches, et Mme Suard put entrer dans sa maison et emporter ce qu’elle était venue chercher. Sans doute, Mme de Montesquiou et Mme de Beaumont eussent continué de vivre ensemble, lorsque la mort les sépara[1]. Les consolations philosophiques ne pouvaient plus suffire. La seule survivante du passé était partie. Il ne restait plus d’autre ami à Pauline que Joubert, rien que lui.


IV

Sa vie fut entièrement modifiée ; elle quitta Theil pour toujours ; elle le quittait avec regret. Elle y avait vécu avec beaucoup de douceur une existence souvent fort rude ; sa santé y avait été passable, son isolement absolu. Ses affaires qui traînaient en longueur la retenaient désormais à Paris. Les formalités nécessaires pour obtenir le divorce étaient minutieuses. « Ma destinée future, écrivait-elle, est un peu plus triste que jamais[2]. » Joubert lui demandait de venir se reposer à Villeneuve, et bien qu’il ne fût pas riche, il avait mis à sa disposition, avec son dévoûment paternel, son peu de fortune. « Si vous avez besoin d’argent, pardonnez tant de brusquerie, mon frère en a à votre service. Pour mon compte, je n’en ai pas besoin. »

Ce fut dans cette année 1800 qu’elle conquit son indépendance. Joubert ne put dissimuler son contentement. Il était allé embrasser sa vieille mère à Montignac, et la nouvelle du gain du procès intenté par Mme de Beaumont vint l’y surprendre en même temps que les événemens extraordinaires qui s’accomplissaient.

Il les voyait avec plaisir, et son opinion représente bien l’état d’esprit de la classe moyenne. Cette opinion avait même affermi ou déterminé celle de son amie sur beaucoup de points. Seule héritière d’un nom vénéré parmi les royalistes, depuis que la guillotine avait pris soin d’effacer les nuances, très aristocrate de toute sa personne, Mme de Beaumont redoutait les gouvernemens populaires. Comme Bonaparte donnait de l’espoir à tous les partis, et qu’il laissait même, au début, croire qu’il rétablirait les Bourbons, elle n’acceptait pas les réticences que la clairvoyante Mme de Staël mettait à son enthousiasme. La fille de Necker était seule à se préoccuper de cette constitution consulaire, dans laquelle Sieyès avait très artistement anéanti les élections démocratiques. Mme de Beaumont et Joubert prenaient au contraire un intérêt très vif au choix de ces personnages officiels, bien rétribués, divisés en trois corps et Lettre du 2 lévrier 1800.

  1. Mémoires historiques sur Suard, par Garat.
  2. Lettre du 20 avril 1799.