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Sans doute, maintenant, de ce qu’une chose s’est faite, il ne s’ensuit pas que l’on doive continuer de la faire. A défaut du progrès, le changement est la loi de ce monde. Après tout, nous ne sommes pas tenus à plus de respect des rédacteurs du code qu’ils ne se sont crus tenus eux-mêmes à la vénération des anciens usages. Ils ont eu de bonnes raisons pour effacer de nos lois la recherche de la paternité, et nous pouvons en avoir de meilleures pour l’y rétablir. A quatre-vingts ans seulement de distance, c’est peu probable, mais enfin c’est toujours possible. Examinons donc si les motifs que l’on faisait alors valoir auraient vraiment perdu, comme renversés par une révolution des mœurs, quelque chose de la valeur et de la solidité qu’on était, en 1803, unanime à leur reconnaître.


III

On ne s’attend pas que nous prenions ici la défense du séducteur de profession, don Juan de village ou Lovelace en boutique, si tant est du moins qu’il existe, car, — ignorance ou parti-pris, — je dois dire que je le crois infiniment plus rare qu’il ne se vante lui-même de l’être. Toutefois, parce qu’un tel séducteur, en dépit de l’auréole que les poètes ont essayé de lui ceindre, est à nos yeux, comme à ceux de M. Dumas, parfaitement méprisable, ce n’est pas une raison de refuser de considérer un peu la situation que risquerait de faire à tant d’autres prétendus séducteurs, d’aventure et d’occasion, une loi qui permettrait la recherche de la paternité. M. Dumas, il y a déjà longtemps, en 1867, dans sa préface de la Dame aux Camélias, s’était posé la question. « Mais les coquines détourneront les jeunes gens, les compromettront, les exploiteront, etc. ? » Et il s’était répondu : « A vingt et un ans, un homme est électeur, garde national et soldat. Il n’est plus un enfant, il sait ce qu’il fait. Et puis, que les honnêtes mères élèvent bien leurs fils, et que les pères les gardent mieux. » La réponse était insuffisante et sentait son auteur dramatique. En effet, puisque déjà les pères ne réussissent pas à « mieux garder » leurs filles, et les « honnêtes mères » à les bien élever ; à plus forte raison, ces mêmes pères ne suffiront-ils pas à « mieux garder, » et ces « honnêtes mères, » à bien élever leurs fils ; une fille, par tous pays, et notamment en France, étant un peu plus dans la main de ses parens qu’un garçon. On pouvait ajouter que si l’homme de vingt et un ans, en vertu de la fiction légale, doit savoir ce qu’il fait, la femme de vingt et un ans, en vertu de la même fiction, doit également le savoir. Elle doit même le savoir mieux que l’homme, puisque, en vertu d’une autre fiction légale, elle est apte au mariage plus tôt que l’homme et, par suite, plus tôt en état de faire le choix que le