Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 59.djvu/369

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avis, et nous sommes heureux d’en pouvoir emprunter l’expression de M. Dumas. Même au cas d’une promesse de mariage, écrite ou verbale, ces paroles fortes et sensées ne perdent rien de leur autorité. Car, de deux choses l’une : ou bien, l’on espère que le prétendu séducteur épousera, ou bien, l’on sait qu’il n’épousera pas. Si l’on sait qu’il n’épousera pas, alors, selon le mot éloquent du tribun Duveyrier, c’est un calcul, dont l’objet n’est que de faire payer quelque jour le silence au taux du scandale, et je ne vois pas bien, en l’espèce, de quelle indulgence ou de quelle commisération la prétendue victime peut être digne. Mais, au contraire, si l’on se flatte que le séducteur épousera plus tard, c’est donc qu’il existe actuellement des obstacles au mariage, tels qu’une disproportion considérable de fortune ou d’éducation, l’opposition formelle d’un père ou d’une mère, des droits positifs, ceux d’un enfant par exemple, et quelquefois ceux d’une femme, et je ne conçois pas, en ce cas, que l’on demande à la loi de fournir elle-même les moyens de passer outre aux obstacles qu’elle a voulu que l’on respectât. Un moraliste plus sévère dirait qu’à toutes fois qu’une fille cède à un homme marié sous promesse de mariage, il y a nécessairement, dans son abandon même, une pensée de lucre, et presque toujours une espérance de mort.

En général donc, et raisonnant sans avoir égard aux exceptions, toute fille qui cède est irrecevable à se faire un titre de son déshonneur, parce que, dès qu’elle cède, il se mêle à l’entraînement de la passion quelque chose d’autre, et en soi d’assez méprisable. Il n’est pas jusqu’à l’ouvrière de la légende, mise à mal par le contremaître ou encore par le fils du patron, qui ne soit légitimement suspecte, en se livrant, d’avoir eu ses raisons de derrière la tête ; et d’avoir été prise par son désir de l’indépendance, ou sa paresse, ou sa gourmandise, ou sa coquetterie, bien plus encore que par aucune illusion d’amour. La preuve en est, d’abord, comme le dit un observateur, que de pareilles situations sont toujours « décelées par la vaniteuse indiscrétion des coupables elles-mêmes ; » et ensuite que leur premier amour, ou ce qu’elles appellent de ce nom, ne dure ordinairement que le temps qu’il faut pour se procurer le second. Envers ces sortes de victimes, victimes d’elles-mêmes et de leurs vices plutôt que dupes de l’homme et du besoin d’être aimée, la loi sociale ne semble tenue d’aucune réparation. Il n’y a pas lieu de leur refaire une virginité qu’aussi bien elles s’empresseraient d’aller mettre à l’encan. Mais il y a des exceptions ! Oui, sans doute, il y a des exceptions ; il y en a de nombreuses, et il y en a de douloureuses. Une très honnête fille, bien née, bien élevée, bien gardée, peut se laisser surprendre et séduire