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toutes les femmes. « Une jeune fille qui a failli s’est rendue coupable envers tout son sexe, car si cette action se généralisait, l’intérêt commun serait compromis ; on la chasse donc de la communauté, on la couvre de honte : toute femme doit la fuir comme une pestiférée. » Si bien que, même quand l’honneur des femmes n’aurait pas une origine conforme à la nature, c’est-à-dire quand on n’y voudrait voir avec Schopenhauer qu’un principe d’intérêt et d’utilité sociale, il faudrait encore attribuer une importance capitale à la faute de la femme, et reconnaître la raison de la sévérité singulière dont les femmes la traitent, dans la grandeur du dommage qu’elle cause en effet à toutes les femmes. « Il faut refuser impitoyablement à l’homme tout commerce illégitime afin de le contraindre au mariage comme à une sorte de capitulation ; seul moyen qu’il y ait de pourvoir au sort de tout le sexe. »

On voit de reste ce qui manque à la théorie de Schopenhauer. Mais si par hasard on ne le voyait pas, je me garderais bien d’essayer de le montrer. Car, d’autant qu’elle est d’un « utilitarisme » plus cynique et plus grossier, d’autant mieux prouve-t-elle que tous ces mots d’honneur, de chasteté, de pudeur, — même quand un Allemand prend plaisir à les rabaisser, — ne cessent pas pour cela de représenter encore des valeurs sociales d’un prix inestimable. C’est à peu près ainsi que, si jamais un autre pessimiste méconnaissait la dignité morale de cette bonne foi que l’on peut proprement appeler l’honneur de l’homme, encore faudrait-il bien qu’il en avouât la valeur de commerce, — pour la sécurité des transactions et le développement de la prospérité publique.

Il résulte de là qu’en croyant consulter aux intérêts de quelques femmes, ou même y consultant de fait, par une loi qui permettait la recherche de la paternité, c’est en réalité les intérêts de toutes les femmes que l’on compromettrait gravement. A combien de femmes, au total, importe-t-il que l’on ne mette point, comme le dit M. Dumas, « toutes les femmes tombées dans le même tas ? » Mais il importe à toutes les femmes que l’on distingue celles qui sont tombées de celles qui n’ont jamais failli. Remarquez bien que je ne veux pas ici m’égarer en des considérations de l’ordre moral et philosophique. Je consens même, afin, comme l’on dit, qu’elle n’ait pas l’air d’être un placement, que la vertu porte en elle-même toute sa récompense, et je veux croire que, dans l’état présent des choses, l’honnête femme est assez vengée, par le témoignage de sa conscience, de tout ce que les hommes font pour celles qui ne le sont pas. A la vérité, vous lui persuaderez malaisément que la vertu ne soit pas une duperie toute pure, et le devoir un vain mot, quand vous aurez une fois fait des lois qui lui démontreront exactement le