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contraire. Déjà même, dans certaines classes de la population, grâce à l’exemple, et grâce à l’indulgence que l’on professe communément pour la femme tombée, toute la différence de l’union libre à l’union conjugale est que « le maire n’y a point passé ; » les conjoints admettant d’ailleurs que, sauf l’accomplissement de cette inutile formalité, leur union n’a rien en soi de répréhensible, ni qui coûte à l’un ou l’autre quoi que ce soit de sa dignité. Mais je reste sur le terrain ou Schopenhauer nous a placés. Et je dis que toutes les fois que l’on atténue, directement ou indirectement, l’importance de la faute de la femme, c’est le prix qu’elles doivent attacher à l’honneur que l’on avilit jusque dans leur conscience, et ainsi, leur propre complicité que l’on sollicite pour combattre et ruiner, dans ce qu’ils ont de plus tangible et de plus évident, les intérêts de leur propre sexe. Car, dans des sociétés où les économistes s’évertuent à nous démontrer que la femme ne peut matériellement pas réussir à vivre de son travail, on ne leur demande rien de moins que de consentir, autant qu’il est en elles, à la diminution des chances qu’elles peuvent avoir d’être épousées.

Je ne doute pas, en y réfléchissant, qu’il ne paraisse que c’est là singulièrement veiller, comme on le prétend, à leur intérêt. L’intérêt d’une femme peut différer de l’intérêt d’une autre femme ; l’intérêt de la femme ne peut pas différer de l’intérêt de tout son sexe. Si c’est donc vraiment une trahison qu’elle commette envers lui quand elle s’abandonne, ou qu’elle succombe, en dehors du mariage, on ne peut pas soutenir qu’en lui facilitant les moyens d’échapper aux conséquences de la trahison, ce soit les intérêts de son sexe que l’on serve. Ce serait servir aussi les intérêts du déserteur que de le laisser aller en paix, puisqu’il ne se sent pas fait, lui non plus, pour l’état militaire ; mais qui dira que ce fût servir les intérêts de la discipline, qui sont ceux de l’armée, c’est-à-dire de la patrie ? On est tout simplement dupe, comme d’ailleurs si souvent dans toute question de ce genre, d’une tentative de réconciliation radicalement impossible entre les intérêts du coupable et les intérêts supérieurs de la loi. Toute loi broie toujours quelqu’un… Mais c’est trop insister sur ce point. Si M. Dumas n’a pas cessé, dans sa dernière brochure, d’être l’éloquent défenseur de tout ce que l’on enveloppe aujourd’hui sous le nom de droit des femmes, il semble toutefois qu’enfin contraint par l’évidence, il ait compris qu’une loi sur la recherche de la paternité profiterait surtout au dévergondage, à l’intrigue, à la cupidité. C’est donc sur les intérêts de l’enfant que M. Dumas prétend surtout attirer et fixer l’attention du jurisconsulte et de l’homme d’état. Quelle que soit, en effet, dans la faute commune, la part de l’homme et celle de la femme, l’enfant