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naturel n’existe pas, puisqu’en effet il s’agit d’imposer une paternité putative à celui qui renie son enfant. M. Dumas réclame le rétablissement de la recherche de la paternité, dans l’intérêt de l’enfant naturel, quand ce serait l’intérêt de l’enfant légitime, dans ces mêmes classes de la population où il naît le plus d’enfans sans père, que de pouvoir être élevé le plus loin possible des exemples de la famille. A tant de causes de corruption, dont l’enfant naturel est comme enveloppé de toutes parts, i ! propose d’en ajouter une de plus, et la plus agissante, la plus redoutable de toutes, celle que la nature elle-même, aux yeux de l’enfant, semble avoir armée d’un égal pouvoir et d’une égale autorité pour conseiller le bien, et pour persuader le mal. Et comme l’abandon d’un père, « vicieux, égoïste et lâche, » en jetant dans la circulation sociale cet enfant anonyme, l’a privé pour jamais des « leçons de la famille, » et des « douces influences du foyer domestique, » il imagine de les lui rendre en lui imposant, par autorité de justice, après les débats d’un procès scandaleux, et tout frémissant encore de rancune et de haine, ce père « lâche, égoïste et vicieux ! » Que serait-ce, après cela, si nous voulions poser la terrible question de l’hérédité physiologique et morale ? Et d’autant que M. Dumas, avec une généreuse imprudence, pour nous émouvoir plus fortement sur les intérêts du petit, nous a montré ce père plus vicieux, et cette mère moins estimable, ne nous a-t-il pas montré dans une plus évidente clarté que, s’il y avait un intérêt pour le petit, c’était surtout d’être enlevé à ses auteurs ?

On répondra qu’il n’importe, et que l’enfant naturel a ses droits. C’est à quoi je pourrais répliquer en invoquant la solidarité des générations entre elles, et les conséquences de la réversibilité pénale. Quelle est donc la flétrissure ou la condamnation dont les effets ne se propagent pas, comme en ondulations de souffrance, bien au-delà du coupable qu’elles frappent ; et le moyen, à vrai dire, qu’il en soit autrement ? J’aime mieux toutefois aborder l’objection plus franchement, et faire observer qu’il s’en faut de beaucoup, même en les admettant, que les droits de l’enfant naturel soient d’abord aussi clairs, aussi nets, aussi faciles à définir que l’on veut bien le croire. Si l’on parle, en effet, du droit des enfans naturels, comme ils ne tiennent ce droit que de la nature, et de ce seul fait qu’ils sont entrés en naissant dans la société des hommes, il faut donc aussi parler du droit des enfans adultérins et incestueux, qui sont sans doute innocens, eux aussi, du crime dont ils sont nés ? Mais il n’est personne, je pense, qui ne discerne, si l’on entre une fois dans cette voie, jusqu’où, de proche en proche, on se trouvera presque inévitablement poussé. Car nous avons tous ainsi, dans les sociétés civilisées, des droits latens, en quelque sorte, ou, mieux encore, passifs,