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l’éloquence. Je m’abstiendrai, pour les mêmes raisons, de faire ici comparaître les métaphysiciens du droit. Eux aussi pourraient bien apporter dans la discussion des argumens auxquels il serait difficile de répondre ; et montrer qu’y ayant dans l’union de l’homme et de la femme, ou plutôt dans leur conjonction, ce qu’ils appellent une diminution de la personne et une déchéance du droit, cette déchéance ne peut être réparée, ni cette diminution compensée, que par un échange formel, entre l’homme et la femme, de la totalité de leur droit l’un sur l’autre. Eux et leurs argumens, négligeons-les cependant encore. Les esprits n’ont jamais été si fermés à la notion du droit que depuis qu’il est tant parlé de nos droits.

Mais ce que je dirai, c’est d’abord que le mariage, quelle qu’en soit l’origine dans la nuit de la préhistoire, — et qu’on l’appelle aujourd’hui du nom de sacrement ou de contrat, — est par tout pays la loi même de la condition de la femme. Qui ne voit plus clair que le jour que la dignité du mariage est la mesure même de l’estime que l’on fait de la femme ; et qui ne sait, par toutes les leçons de l’histoire, que l’estime que l’on fait de la femme est la mesure, à son tour, de la valeur d’une civilisation ? Telle forme du mariage, telle situation de la femme ; et telle situation de la femme, telle forme de la société. Où règne la polygamie, la femme n’est qu’une chose ; elle ne devient une personne que sous la loi de la monogamie ; et sous cette loi même, par un retour qui ferme le cercle, l’étendue de sa personnalité dépend des conditions juridiques du mariage. C’est à quoi se rendent volontairement aveugles aussi bien les partisans du divorce que ceux de la recherche de la paternité, si le divorce n’est à proprement parler qu’une polygamie successive, et si la liberté des unions n’est à vrai dire qu’une polygamie confuse « où les deux sexes, se corrompant par les sentimens naturels mêmes, fuient une union qui doit les rendre meilleurs, pour vivre dans celle qui les rend toujours pires. » Eh ! quoi est en effet le secret de tant d’unions libres si ce n’est que chacun y croit réserver éventuellement cette part d’indépendance qu’il aliénerait irrévocablement dans le mariage ? si ce n’est qu’il y croit trouver tout ce qu’il trouverait dans le mariage de satisfaction et de sécurité, sans presque aucune des obligations ni presque aucun des devoirs que lui imposerait le mariage ? si ce n’est enfin, pour dire la chose comme elle est, et la montrer dans la splendeur de sa brutalité, qu’on n’y veut être rien de plus l’un à l’autre qu’un instrument de plaisir ? Mais alors n’est-il pas vrai qu’en faisant du concubinat une forme à peine inférieure du ménage, vous abaissez la barrière qui séparait la facilité d’avec la sévérité des mœurs ? que, si vous décrétez en principe la recherche de la paternité, vous ôtez des