Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 59.djvu/380

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

conditions, entourée de certaines garanties, investie de certains privilèges, parce qu’il lui importe, — étant plus facile, comme disait ce misanthrope, de trouver une femme qui n’ait pas eu d’amant que d’en trouver une qui n’en ait eu qu’un, — de savoir où prendre l’homme qu’il lui faut, c’est-à-dire le père de l’enfant. Et si cela lui importe, c’est parce que des intérêts sociaux de premier ordre ; tels que tous ceux qui tiennent à la transmission des fortunes, ou tous ceux encore qui tiennent à l’accroissement de la population, ou tous ceux enfin qui tiennent à l’éducation des enfans sont dans une dépendance rigoureuse de cette présomption de paternité. Aussi la faveur dont elle a voulu visiblement entourer le mariage n’est-elle qu’une conséquence de l’importance sociale qu’elle lui reconnaît. Et c’est surtout pourquoi, comme dit M. Dumas, « les magistrats hésitent et les législateurs attendent, » quand on leur propose de voter la recherche de la paternité. Car ce n’est point seulement leur demander d’établir, comme on le croit, qu’il sera porté remède à des maux dignes de pitié, fût-ce au prix de quelques autres maux qu’ils se résigneraient encore à subir ; mais c’est leur demander de décréter que la loi offrira d’elle-même à ceux que gênent ses rigueurs autant de facilités pour s’y soustraire que l’ingénieuse malice humaine inventera de moyens pour la tourner ; et c’est leur demander de reconnaître que-tous les intérêts sociaux qu’ils croient liés à la loi du mariage n’y tiennent pas effectivement ; — et c’est jusqu’ici ce que l’on n’a ni prouvé, ni sérieusement essayé de prouver.

Telle est, pour nous, la vraie manière de poser la question de la recherche de la paternité. Voilà le vrai problème, ou plutôt voilà le problème unique. Veut-on du mariage ? ou bien n’en veut-on pas ? N’en veut-on pas ? et pourvu que les hommes croissent et se multiplient, pense-t-on qu’il n’importe guère comment les générations sortent des générations ? La cause est entendue. Ce ne sera pas la seule façon que le progrès moderne ait imaginée de faire rétrograder vers la barbarie morale l’homme du XIXe siècle, armé de toutes les ressources de la science et de l’industrie. Mais veut-on du mariage ? et croit-on que la constitution de la famille importe à la constitution de l’état ? La dureté du mot de Bonaparte ne peut alors qu’enfoncer davantage dans les esprits l’impression de sa vérité ; le code a raison, et il faut interdire la recherche de la paternité. C’est ce que savent très bien encore les raisonneurs plus absolus ou plus logiques, dont nous parlions plus haut, M. Emile Accolas, par exemple. La recherche de la paternité ne leur suffit pas longtemps ; entre le droit des enfans naturels et celui des enfans légitimes, ils ne cherchent pas de différences vaines ; tous naissent égaux pour eux ; ou plutôt, s’il y a lieu de favoriser quelqu’un, c’est l’enfant