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On lit dans une récente étude de la Rivista militare[1] :

« À la dévastation de notre littoral, à laquelle nous sommes exposés aujourd’hui, nous pouvons nous résigner. Mais à une invasion concurrente par terre et par mer, venant de la Corniche, ou à un fort débarquement soit en Toscane, soit sur la côte romaine, non, et non, parce que ces débarquemens, comme l’ont démontré Mezzacapo et tant d’hommes éminens après lui, compromettraient de la manière la plus grave l’issue de la guerre.

« L’ennemi aura 800,000 hommes, soit ; s’ils doivent tous passer par les trous d’aiguille des cols des Alpes, ils n’arriveront dans la vallée du Pô ni en assez grand nombre, ni assez vite, ni assez facilement pour que notre vaillante armée ne puisse leur tenir tête ; mais si la mer et les voies du littoral sont sans défense, si un convoi de 60,000 hommes parti le soir de Toulon, de Nice ou de Villefranche peut arriver dès l’aube, à l’improviste et sans être vu, à Vado ou sur les côtes de Toscane, et débarquer son monde en quelques heures, alors les choses changeront et, trop tard, nous nous repentirons amèrement de n’avoir point écouté les hommes prévoyans quand ils disaient : « Il faut donner par an 20 millions de plus à la marine, dût-on pour cela renoncer à deux corps d’armée. »

Que ces pressantes instances, inspirées par les prévisions du plus pur patriotisme, aient trouvé de l’écho dans le parlement italien et au cœur même de la nation, c’est ce que met en pleine lumière le vote même de la chambre que rappelle un écrivain anonyme de la Revue militaire de l’étranger, qui nous pardonnera de le citer textuellement. « On n’a point oublié le retentissement que souleva en Angleterre, quand elle parut en 1872, la Bataille de Dorking. Cette brochure originale, qu’on pourrait qualifier de brochure panique, eut sa première imitation en Italie. Sans y causer à beaucoup près autant d’émotion que la Bataille de Dorking, dont après dix ans la fiction plane encore sur l’Angleterre comme le spectre de Méduse, le Récit d’un garde-côte produisit cependant assez d’émoi pour que le ministre de la marine, interpellé, dût récuser à la tribune toute participation à ce cri d’alarme… Le Récit d’un garde-côte fut suivi de publications analogues, et il suffit de rappeler que toutes représentaient la France, la France de 1871, comme préparant ouvertement sa revanche aux dépens de l’Italie. De la presse cette fiction hardie passa bientôt dans le parlement ; la discussion du budget de 1878 amena à la tribune des députés qui ne craignirent pas de

  1. Maris imperium obtinendum, par M. Paolo Cottrau, traduit par M. G. Noël, capitaine de frégate. (Revue maritime, juin 1883.)