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reste pour elle son guide dans l’avenir comme elle le fut dans le passé. L’ensemble de ces forces morales ne pèsera-t-il pas dans la lutte d’un aussi grand poids que cette force matérielle qui manque aujourd’hui à l’Italie, mais qu’elle compte bien se donner un jour ? Ses hommes d’état le croient et l’espèrent. Confians dans l’avenir, ils en préparent les voies secrètement, — lentement, mais sûrement, — faisant servir au succès toutes les forces qui peuvent y concourir ; comptant sur eux-mêmes, et plus encore peut-être sur les fautes de leurs adversaires.

Ainsi que l’établit le rapporteur du comité de défense de 1873, si l’Italie a ses frontières géographiques tracées de la manière la plus nette par les Alpes et par la mer, au point de vue politique « sa frontière continentale reste cependant ouverte dans quelques parties du territoire, » A lire entre les lignes, on voit facilement quelles sont ces parties qui restent ouvertes (tous les manuels de géographie les indiquent d’ailleurs), et comme la volonté de M. de Bismarck n’est une barrière aux rêves de l’Irredenta que du côté de Trieste et du Tyrol, la Savoie et surtout le comté de Nice, qui est la clef de la route stratégique de la Corniche et du chemin de fer de Marseille-Vintimiglia, restent ouverts aux rêves, sinon à l’action de ceux, quels qu’ils soient, qui trouvent que l’unité de l’Italie n’est pas faite et répètent avec leur grand ancêtre : Nil artum reputans quum aliquid agendum superesset. Signaler ces rêves ou cette action à la vigilance de nos hommes d’état, de quelques noms qu’ils s’appellent, serait faire injure à leur patriotisme ; — d’ailleurs, si ce patriotisme s’était jamais endormi, les excursions de certains touristes, qui ne sont pas des inconnus en France, doivent avoir suffi pour les tirer, et pour longtemps, de ce coupable sommeil. Mais, dans la pensée des hommes d’état italiens et même du rapporteur de 1873, est-ce seulement sur la frontière continentale de l’Italie que l’Italie reste ouverte à l’étranger ?

C’est, on le sait, sur mer que, de l’avis des stratégistes de la péninsule, à quelque arme qu’ils appartiennent, se décidera le sort d’une guerre entre l’Italie et la France. Trois systèmes de défense ont été étudiés à fond, nous n’exposerons ici que celui auquel les officiers de la marine italienne donnent généralement la préférence. Ce plan comprend à la fois un moyen de défense énergique et la possibilité d’un retour offensif : utiliser la position de la Sardaigne située t ! es heureusement et très fortement à cheval entre le golfe de Gênes et le golfe du Lion, à portée de secours de Naples et de Spezzia, et établir la flotte sur un point indiqué par la nature, c’est-à dire dans les bouches de Bonifacio, pour ainsi dire dans les eaux de l’ennemi. Une escadre qui tient les bouches de