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rappellent les grands noms historiques de Césarée, de Ptolémaïs, de Sidon, de Tyr, deux villes, Smyrne et Beyrouth, apparaissent vivantes et d’une vie singulièrement énergique. Cette vie même, qui atteste la réalité de ces grandeurs évanouies et qui permet d’y croire, est un signe des temps, plus expressif, parlant plus haut encore que les ruines de leurs anciennes rivales. Ces ruines ne racontent que le passé ; cette vie puissante et toute nouvelle dit tout haut l’avenir réservé à ces provinces désolées, à leurs populations si longtemps en deuil. Comme ces saints des légendes sacrées qui, victorieux de la mort et planant un moment sur leur tombe entr’ouverte, annonçaient l’éternelle résurrection, ces deux villes, secouant le poids de leurs propres ruines, crient aux races vaincues et opprimées l’heure de leur résurrection prochaine à l’indépendance nationale et à la liberté. L’Europe et l’Asie semblent, en effet, s’y chercher pour un dernier combat, pour un combat décisif où la victoire est écrite d’avance en caractères qu’un simple regard permet de comprendre, que la vue traduit à l’esprit. Voyez plutôt : nous sommes à Beyrouth ; la rade étincelle au soleil, avec ses flots d’azur à peine ridés par la brise de terre ou mollement soulevés par la houle du large. A chaque instant, de grands paquebots, — cités flottantes, — la traversent pour s’y arrêter quelques heures. Venus de tous les ports de l’Europe, dont ils attestent la supériorité commerciale, ils passent rapides, inclinant au passage leur pavillon national devant les escadres de guerre, vivante expression de la puissance militaire de l’Occident. Sphinx mystérieux, cachant le secret de l’avenir sous leurs murailles d’acier, prêts au premier ordre à le révéler par la bouche de leurs canons monstrueux, les lourds cuirassés de France et d’Angleterre semblent dormir à l’ancre ; auprès d’eux glissent silencieusement les humbles caïques turques, dont les formes, dont la voilure rappellent les galères phéniciennes. Le temps a passé sur elles sans les changer ; est-ce un symbole de l’impuissance, de l’insouciance, de l’esprit de routine des maîtres du pays ? Peut-être. En tout cas, elles les crient moins haut que les navires de combat empruntés à l’Europe, dont ils ne savent ni entretenir ni utiliser la formidable puissance, arme inutile laissée à leurs propres mains et qui ne vaut quelque chose que par les marins empruntés, eux aussi, à l’Europe. Mais le rivage, mais la ville nouvelle, mais la ville ancienne des musulmans ont aussi leur langage ; écoutons-les.

Sur les falaises taillées à pic, çà et là, dentelées de criques à peine accessibles aux légers canots du pays, se dressaient naguère de puissans bastions, des remparts crénelés, enserrant la ville d’une ceinture menaçante. Ces bastions s’écroulent sous les plis du