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nous à répondre à cette question. Néanmoins, si, comme l’affirme la Gazette de Francfort, « on a le sentiment en France que le chancelier est en train de faire la paix avec le Vatican, et qu’il n’est pas impossible que l’influence de la papauté sur la politique allemande devienne un facteur avec lequel devra compter un homme d’état perspicace, attendu qu’il ne serait pas avantageux pour la France d’avoir pour ennemi le pape ami et allié de l’Allemagne, » — peut-être devrait-on parmi nous comprendre qu’il serait tout aussi peu avantageux, pour notre pays, d’avoir pour ennemi le pape ami et allié de l’Italie. Moins que personne nous avons autorité pour juger la politique intérieure de notre pays, mais il nous est permis de penser que le fanatisme antireligieux est aussi odieux que le fanatisme religieux, qu’au point de vue philosophique ils se valent, et que tous deux sont la négation de la dignité de l’esprit humain et de la liberté, et enfin, qu’au point de vue pratique de notre action extérieure, il a exercé dans le passé une influence déplorable, tout au moins dans les pays de l’Orient. Autant que ce que nous avons pu voir de nos yeux, l’histoire même nous a confirmé dans cette opinion.

Un de nos historiens modernes, dont nul ne met en suspicion l’impartialité, a écrit la page suivante : « Les victoires prodigieuses de Bonaparte, son gouvernement juste, éclairé, sévère, excitaient l’admiration et le respect des habitans ; mais il y avait un obstacle insurmontable à leur soumission, la religion. En Égypte, comme dans tous les pays où les républicains avaient porté le drapeau tricolore, l’athéisme des vainqueurs excitait la répugnance et l’inimitié des vaincus, et lorsqu’un manifeste de la Porte excita les habitans à la guerre « contre les impies qui regardent le Coran, la Bible et l’Évangile comme des fables, » une insurrection terrible éclata au Caire, qui ne fut apaisée qu’après une bataille acharnée[1]. » Sans nul doute on peut répondre que, sauf le fanatisme religieux des Orientaux, qui reste le même, à tous égards, les choses ont bien changé depuis 1798. Il ne n’agit plus pour nous de les soumettre à notre domination et de conquérir l’Orient ; nos prétentions sont plus sages et plus modestes, elles se bornent au maintien de l’influence politique que nous avons conquise dans ces pays et qui seule peut assurer la protection, disons mieux, conjurer la ruine de notre commerce et de notre industrie. Mais serait-ce se montrer trop sévère de dire que, pour le triomphe de ces prétentions si modérées, et pour nous garder les sympathies des Orientaux, nous ne pouvons compter aujourd’hui sur le double prestige des victoires de nos généraux et du génie de nos hommes d’État ?

  1. Théophile Lavallée, Histoire des Français, t. IV, p. 298.