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donner un signal de guerre, à essayer de changer en instrument d’agression et de perturbation des combinaisons de diplomatie qui n’ont eu jusqu’ici, on l’a assez déclaré, qu’un caractère défensif et pacifique. M. de Bismarck peut, de temps à autre, déchaîner les brutalités de ses journaux contre la France, il peut avoir des soupçons du côté de la Russie : il y a encore loin de tout cela à l’action. Tous les états d’ailleurs n’ont pas les mouvemens si libres, et l’Autriche elle-même, bien qu’enchaînée par sa politique orientale à l’Allemagne, est la première intéressée à ne rien précipiter, à ne pas s’engager à la légère. Elle a assez d’embarras intérieurs dans toutes les incohérences et les rivalités de races qui viennent d’éclater encore une fois par les troubles de la Croatie.

La Croatie, on le sait, relève de la couronne de Hongrie ; mais elle est une vassale toujours insoumise, semi-indépendante, aspirant à reprendre un rôle national, et à former à son tour un royaume relevant uniquement de l’empire. Les derniers troubles ont commencé par des échauffourées qui ont éclaté, à Agram, par des insultes aux écussons hongrois, qui ont été arrachés presque partout. Le cabinet de Pesth, d’accord avec le ministère commun de l’empire, a voulu nécessairement rétablir les écussons arrachés ; mais aussitôt l’agitation a grandi, s’est étendue à toute la Croatie et est devenue une sorte d’insurrection séparatiste nationale contre la domination magyare. Le ban de Croatie, le comte Pejacsevich, n’a plus voulu exécuter les ordres venus de Pesth et a donné sa démission. Il a fallu nommer un commissaire impérial avec des pouvoirs extraordinaires pour rétablir l’ordre, Le ministère de Hongrie se trouve dans l’alternative de subir une humiliation en acceptant les conditions des Croates ou d’employer la force, d’exercer des répressions sanglantes contre des populations qui attestent d’ailleurs leur fidélité à l’empereur. La situation est d’autant plus critique pour le gouvernement hongrois que, dans le royaume même, dans quelques comitats, le mouvement antisémitique a pris depuis quelques semaines un caractère de violence extraordinaire. Ce ne sont plus des manifestations accidentelles, ce sont de vraies guerres de paysans contre la race israélite, des assauts organisés contre les juifs, contre leurs familles et leurs maisons. On a été réduit à envoyer des troupes contre ces séditions populaires ; et sur plusieurs points la répression a été sanglante. L’agitation antisémitique de Hongrie se mêle à l’agitation nationale de Croatie pour créer à l’Autriche une situation telle que le cabinet de Vienne est probablement peu désireux de voir surgir par surcroît des complications extérieures, toujours redoutables.

L’Espagne, à son tour, sort à peine d’une crise intérieure qui, pour n’avoir duré que quelques jours, n’a pas moins une certaine signifi-