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les colonies de l’Amérique du Sud, était singulièrement affaiblie dans la Floride, Il semblait que ce vaste territoire fût déjà une proie offerte à toutes les convoitises; des flibustiers y étaient débarqués en arborant le drapeau des nouvelles républiques hispano-américaines ; des spéculateurs des États-Unis y accouraient en foule pour recueillir les premiers les bénéfices d’une annexion en vue de laquelle des négociations allaient s’ouvrir ; enfin des commerçans anglais, indifférens aux destinées futures du pays, se préoccupaient uniquement de se créer des relations directes avec les Indiens et de conquérir dans les tribus une influence propre à assurer le succès de leurs entreprises. A la faveur de cet état d’anarchie, les Séminoles avaient à plusieurs reprises tenté des incursions sur le territoire de la Géorgie et y avaient commis des déprédations auxquelles le général Gaines, chargé de la défense de la frontière, avait répondu en livrant aux flammes un de leurs villages. Les Indiens, usant à leur tour de représailles, arrêtèrent un bateau qui se rendait au fort Scott et massacrèrent l’équipage et les passagers. Le gouvernement résolut de mettre un terme à ces agressions et appela Jackson au commandement des troupes de la frontière.

Ce dernier accepta d’autant plus volontiers cette mission qu’il espérait y trouver l’occasion de réaliser un de ses projets favoris. Quelques années auparavant, il avait reçu à l’Hermitage la visite d’un aventurier politique qui avait joué un moment un rôle considérable, mais dont la carrière s’achevait au milieu de la déconsidération publique et sur lequel pesait une accusation de haute trahison. Aaron Burr, qui avait été vice-président des États-Unis, qui avait disputé la présidence à Jefferson, mais qui avait dû renoncer à la vie publique à la suite du duel dans lequel il avait tué Hamilton, avait rêvé le renversement de la domination espagnole dans l’Amérique du Nord, la conquête du Mexique et la création à son profit d’un nouvel empire auquel, si l’on en croit ses adversaires, il aurait espéré rattacher quelques états démembrés de l’Union[1].

Ces vastes desseins formèrent le sujet habituel des entretiens de l’Hermitage. Jackson n’était pas homme à repousser cette politique de flibustiers, que devait si audacieusement pratiquer le parti dont il fut le chef et à laquelle il devait s’associer lui-même en préparant la scandaleuse annexion du Texas. A partir de cette époque, l’idée de la conquête de la Floride paraît s’être emparée de son esprit. Nous

  1. Poursuivi en 1807 (l’année même de sa visite à l’Hermitage) à raison de ses projets de démembrement de l’Union, Aaron Burr fut acquitté, faute de preuves suffisantes. Mais l’opinion générale se prononça si énergiquement contre lui qu’il dut quitter l’Amérique pendant plusieurs années pour échapper à la réprobation dont il était l’objet.