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ces divers incidens de tenir uniquement compte du but poursuivi, qui n’était pas de faire la guerre à l’Espagne, mais de continuer la guerre commencée contre les Indiens : « Jackson, ajoutait Adams, a pour lui une fraction considérable de l’opinion publique ; s’il venait à être désavoué, ses amis ne manqueraient pas de dire qu’après avoir profité de ses services, on l’a sacrifié aux ennemis de son pays, et son sort serait comparé à celui de sir Walter Raleigh. »

L’opinion d’Adams prévalut. Le cabinet fut d’avis : 1° que la conduite de Jackson devait être approuvée; 2° que la prise des forts espagnols devait être considérée comme son fait personnel, que cette prise de possession avait été légitime et nécessaire, mais que le gouvernement ne l’avait pas autorisée et n’avait pu constitutionnellement l’autoriser; 3° que la ville de Pensacola serait rendue aux Espagnols; 4° que le fort Saint-Marks serait également rendu lorsque les Espagnols y auraient envoyé des forces suffisantes pour l’occuper et pour protéger la frontière.

Adams développa avec une remarquable habileté dans une dépêche au ministre d’Espagne les argumens dont il s’était servi pour convaincre ses collègues. Quelle que fût au fond la valeur de sa thèse, ce document diplomatique eut un grand succès dans le public américain. Jefferson adressa à Adams de chaleureuses félicitations, et demanda que sa dépêche fût traduite dans toutes les langues et envoyée à toutes les cours de l’Europe.

Le président expliqua, de son côté, à Jackson, dans une longue et affectueuse lettre, le caractère de la décision prise et s’efforça de lui faire accepter la remise de Pensacola et du fort Saint-Marks aux Espagnols. Le général répondit avec une mauvaise humeur marquée que les instructions qu’il avait reçues ne spécifiaient nullement les moyens qu’il devait employer pour réduire les Séminoles, et qu’il n’avait pu conséquemment outre-passer des instructions aussi vagues.

Ces graves questions de politique étrangère et de droit constitutionnel devaient être soumises aux délibérations du congrès. Il en fut saisi dès sa réunion, et le grand débat qui s’ouvrit, le 27 janvier 1819, à la chambre des représentans est resté l’un des plus brillans épisodes de l’histoire parlementaire des États-Unis. Le comité des affaires militaires demanda qu’un blâme fut adressé au général Jackson à raison de l’exécution des deux marchands anglais. Un représentant de la Géorgie, nommé Cobb, proposa trois résolutions additionnelles blâmant la prise de Pensacola et tendant à prévenir le retour de pareils faits. Henry Clay, alors speaker de la chambre et l’un de ses orateurs les plus écoutés, prit le premier la parole pour appuyer ces résolutions. Il s’éleva avec une