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bien légitimes ; les réunions d’hommes d’état et les entrevues de souverains qui se multiplient semblent le prélude des plus graves événemens ; l’antagonisme entre la Russie et l’Autriche en Orient fait des progrès effrayans; les petits royaumes et les petites principautés des Balkans se remuent; enfin, la décomposition de la Turquie peut amener d’un moment à l’autre le signal de l’explosion générale.

Je ne veux point revenir ici sur les épisodes qui viennent d’agiter si profondément l’Europe et de soulever partout de si vives inquiétudes. Il est impossible de ne pas dire cependant qu’ils ont révélé à tous les yeux une situation dont le dénoûment fatal sera une guerre plus ou moins prochaine. Poussée par une main impérieuse vers l’Orient où désormais tout l’enfonce de plus en plus, l’Autriche a tenté de lier intimement à sa politique la Roumanie et la Serbie. On a vu les jeunes rois du Danube aller saluer à Vienne leur futur suzerain. Il semblait que le rêve d’un ministre hongrois qui déclarait naguère que la couronne de Habsbourg était un composé de la couronne de Rome et de celle de Byzance fût déjà réalisé. Par malheur, au moment où les Autrichiens cédaient à cette immense illusion, une insurrection sanglante éclatait en Croatie et sur les Confins militaires; le prince de Bulgarie, soupçonné de faiblesse envers l’Autriche, était obligé de rendre à ses sujets les pouvoirs absolus qu’il leur avait arrachés, et des élections radicales prouvaient au roi de Serbie que son peuple ne le suivait pas dans sa conversion à la politique austro-allemande. C’était la riposte de la Russie aux prétentions autrichiennes. Voilà donc la lutte nettement engagée, et avec quelles armes? Les révoltes, les soulèvemens socialistes, les menaces de révolutions dynastiques. Les deux adversaires se mesurent de l’œil, et le moment se rapproche où ils ne pourront plus éviter le conflit déclaré. Le jour où il éclatera, quelle sera l’attitude de la France? S’il lui arrive de se souvenir de son glorieux passé et du rôle qu’elle a joué jadis dans la politique européenne, l’Italie sera là pour la ramener au sentiment de la réalité présente. Il y a quelques mois, le feld-maréchal de Moltke, appelé par sa santé, au moment des fortes chaleurs, sur la frontière des Alpes maritimes, y a soigné sa verte vieillesse par d’immenses excursions, de longues courses de jour, de longs travaux de nuit, des études topographiques et des levers de plans. A l’Italie, qui sait si l’Espagne ne se joindra pas au besoin? Elle vient de faire un traité de commerce avec l’Allemagne, qui a été ratifié par le parlement de Berlin au milieu de fanfares guerrières et de bruits belliqueux dont les plus pacifiques doivent être encore assourdis. Et je ne parle ici que du continent; je laisse à dessein de côté les questions coloniales ; je ne cherche pas si nos entreprises dans cette direction ont été engagées