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enfin à y mettre un terme. Lorsqu’il laisse chasser les aumôniers des hôpitaux, lorsqu’il prive lui-même des curés de leurs traitemens, parce qu’ils ont manifesté peu d’admiration pour des livres plus ou moins détestables, il ne s’aperçoit donc pas de l’impression que ces mesures produisent au dehors? C’est un grand malheur, si l’on veut, mais l’Europe est encore très religieuse; elle l’est même à tel point que, tandis que nous nous obstinons au Culturkampf, partout il cesse, partout il disparaît. On discute beaucoup en Allemagne la question de savoir si M. de Bismarck est allé ou n’est pas allé à Canossa; le fait est que, s’il n’est pas encore dans le fameux château où l’empereur Henri passa de si tristes heures d’attente et de repentir, il est du moins bien près des remparts. Aujourd’hui la paix est rétablie entre l’Allemagne et l’église caiholique; les lois de mai s’en vont en morceaux; une partie en est détruite, l’autre n’est pas appliquée. Au même moment, la Russie s’est rapprochée du saint-siège afin d’obtenir son appui en Pologne. De ce côté-là aussi, la paix est rétablie. En Autriche, il n’était point nécessaire de rétablir la paix, puisque le catholicisme et l’état y ont toujours vécu en bonne intelligence; néanmoins la politique du comte Taaffe, l’échec des Allemands libéraux, le triomphe des Tchèques, ont amené un redoublement d’intimité entre Léon XIII et François-Joseph. Enfin, l’Italie elle-même semble vouloir tenter un accord avec le saint-siège. Depuis quelques mois, on parle sans cesse de négociations entre le Vatican et le Quirinal. Sans doute, ces négociations ne sauraient réussir d’une manière complète; longtemps encore le pape et le roi d’Italie ne pourront pas se donner la main. Mais si la réconciliation est une chimère, l’adoucissement des rapports est une réalité. Les catholiques ont recommencé à prendre part aux élections; à Rome même, de grandes familles dévouées à la cause pontificale sont rentrées dans la vie publique; on a remarqué jusque dans le choix de certains prélats comme un vague désir de la part du pape d’être agréable, sinon au gouvernement italien, au moins à la famille royale. Avec un pontife tel que Léon XIII, ce qui était invraisemblable du temps de Pie IX ne l’est plus. Prenons garde que la triple alliance ne reçoive la sanction de cette grande force morale de l’église catholique, qui peut paraître bien fragile aux inventeurs de l’article 7 et aux héros de l’expulsion des congrégations, mais qui a vaincu jadis Napoléon, et qui vient de faire reculer M. de Bismarck!

Il est fort possible que la lettre récente de Léon XIII à M. Grévy ait été à la fois une dernière tentative de conciliation avec la France et un avertissement. Si nous rejetons l’une et si nous méprisons l’autre, notre situation en Europe deviendra des plus critiques. Entourés d’états qui traversent tous une période de réaction politique et religieuse,