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qui devaient être la compensation de nos désastres[1]. » J’avais oublié l’Asie et le Tonkin; à cela près, j’étais, hélas! trop bon prophète. Nous sommes placés aujourd’hui, comme je l’annonçais, dans l’alternative, ou de demeurer isolés, ou de nous mettre à la remorque de nos vainqueurs. Si nous prenions ce dernier parti, si nous allions nous abriter sous les ailes de la triple alliance, assurément ce serait une garantie très sérieuse pour le maintien de la paix; mais cette conduite ne conviendrait peut-être pas encore à beaucoup d’entre nous. On aurait pourtant dû prévoir que, par la politique suivie l’année dernière dans la question égyptienne, on allait être acculé à cette extrémité. Je n’exposerai pas ici ce qu’était pour nous l’Égypte dans l’histoire et dans le présent, personne ne l’ignore; ce serait donc me donner une peine inutile. Avoir perdu l’Égypte est pour notre pays un malheur immense. Mais je ne sais si les conséquences que ce malheur a entraînées ou risque d’entraîner ne sont pas plus graves encore. Or les raisons pour lesquelles nous avons fait le sacrifice de nos plus chers intérêts sont si tristes, je dirai si misérables, qu’on a quelque peine à les avouer. Lorsqu’on relit avec attention les débats parlementaires et les documens diplomatiques qui ont précédé notre défection en Égypte, on s’aperçoit que, là encore, la politique intérieure, avec ses mesquines préoccupations, a fait dévier la politique extérieure de la voie où il fallait la maintenir à tout prix. Les hommes qui étaient alors au pouvoir y étaient arrivés en sauveurs, sous prétexte d’écarter de notre pays des dangers de guerre qui n’existaient pas, et ils s’y maintenaient en exploitant de leur mieux la pusillanimité nationale. Aussi, dès qu’il s’est agi d’envoyer quelques troupes en Égypte, ils ont déclaré que c’était une entreprise très téméraire, non-seulement à cause des résistances certaines de l’armée formidable que commandait Arabi, lequel pouvait être regardé comme un second Juarez, mais encore à cause des complications qui menaçaient de se produire sur nos frontières si nous intervenions sur le Nil. Il résulte de toutes les pièces publiées depuis que rien, absolument rien, ne leur avait donné le droit de parler de la sorte. Nous avions reçu, au contraire, soit de Berlin, soit de Constantinople, la promesse formelle, officielle et officieuse, que la France aurait les mains libres. Tous nos ambassadeurs avaient été chargés de nous en transmettre l’assurance. Les moyens dont on s’est servi pour énerver le courage de la chambre des députés étaient donc de ceux qu’on ne saurait trop sévèrement qualifier. Ils reposaient sur une insigne fausseté. Ils ont d’ailleurs pleinement réussi. La chambre,

  1. La République et les Intérêts français en Orient. (Voir la Revue du 15 septembre 1882.)