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épigrammes anonymes qu’elle eut le tort de lui attribuer, il subit ces représailles sans souffler mot, parce que le coupable, M. Auger, l’avait mis dans sa confidence. Bref, il vécut en Alceste, au fond d’une retraite honorée, où il ne causait guère avec les vivans que plume en main.

Aussi consciencieux que sincère, il ne parla jamais d’un livre sans l’avoir lu et annoté d’un bout à l’autre. Or les souvenirs les plus lointains s’emmagasinaient dans une mémoire vraiment encyclopédique. Très exacte, et toujours assaisonnée d’esprit, cette instruction rayonnait en tous sens; car les sciences physiques et naturelles ne lui furent guère moins familières que l’histoire, la politique, la théologie, la philosophie, et la littérature ancienne ou moderne. Toutes les fois qu’il touche à des questions techniques, son style unit la précision à l’agrément, par exemple dans cette page où il décrit les merveilles de la vapeur appliquée à l’industrie : « Ici, d’énormes marteaux écrasent des barres de fer et les convertissent en rubans flexibles; là, des ciseaux gigantesques les découpent comme du papier; ailleurs, elles s’étendent sous l’inévitable cylindre comme la pâte sous un rouleau. Cette force, qui le se lasse jamais, fait tourner d’innombrables roues dont les dents laissent échapper la laine et le coton en longues traînées blanches qui, saisies et tordues par un nouvel engrenage, coulent en fontaines de fils, se perdent dans un tourbillon de fuseaux: plus sûre que sous la main du tisserand, la navette va, vient et fait miracle; des milliers d’aiguilles se meuvent d’elles-mêmes, et semblent obéir à l’adresse d’une fée. La pompe à feu, qui est l’âme de ce grand corps, n’est guère plus bruyante que les rouages d’une montre. »

L’érudit cachait un humoriste qui sut toujours parer sa matière, comme en témoigne cette fantaisie où, s’égayant aux dépens des géologues, il suppose ironiquement qu’un caillou « né en Afrique » raconte l’odyssée de ses évolutions séculaires, depuis l’époque où ses élémens gazeux flottaient dans l’espace, jusqu’au jour où un professeur du Collège de France le rencontra sur la route de Suresnes. Dans cette façon de mettre les idées en scène se retrouvait l’aptitude dramatique. C’est ainsi qu’Hoffman débuta par des Lettres champenoises, où un soi-disant provincial, membre de l’académie de Châlons, rend compte à un sien cousin de tout ce que Paris lui offre d’intéressant. Ailleurs, il introduit des personnages qu’il fait manœuvrer et dialoguer avec naturel. Telle est la scène qui représente l’abbé de Pradt venant le sermonner à son quatrième étage : tous les ridicules de l’irascible et patelin prélat revivent dans cette petite comédie, où nous lisons : « La leçon fut