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sottises, l’auteur est bien faible de lui obéir; si le critique n’avait pas tort, l’auteur est bien ingrat de le traiter durement, tout en profitant de ses conseils. »

Un écrivain qui aima surtout la clarté ne pouvait être bienveillant pour les tâtonnemens d’une école naissante qui ne savait où elle allait. Il comprit cependant l’inquiétude de l’heure présente, et les symptômes précurseurs d’une réforme appelée par l’ennui des redites. N’avoue-t-il pas « qu’il en est du mauvais goût comme des mauvaises mœurs: on le blâme, mais on ne le hait point. Par devoir, par pudeur, par amour-propre, on vante les tragédies classiques, mais on y voudrait des tableaux plus variés, des surprises plus inattendues, des incidens plus saisissans, et une marche plus rapide. Le mélodrame est détestable, mais il amuse par ses extravagances mêmes. Bref, nous regrettons qu’une honnête femme n’ait pas tout le piquant d’une courtisane. » Au lieu de combattre « des monstres, » il n’aurait donc pas demandé mieux que d’applaudir à des chefs-d’œuvre. Mais la médiocrité de maint essai tenté par la nouvelle poétique justifiait le défenseur de l’ancienne; car il en est des révolutions littéraires comme des autres, et leurs premiers acteurs sont rarement faits pour les recommander aux sages. Avant la venue des héros, il fallut bien subir les charlatans qui, « montés sur des tréteaux, vendaient de l’orviétan aux badauds du Parnasse. » Voilà pourquoi le romantisme ne parut à un censeur trop chagrin qu’un libertinage d’esprits déréglés, que l’insurrection passagère de l’ignorance et de l’impuissance..

S’il y a de l’étroitesse de vues dans le parti-pris d’un adversaire hostile à toute innovation, cet entêtement avait du moins l’excuse d’un patriotisme qui crut défendre l’intégrité du génie français. Aussi prit-il sa plume de combat pour voler à la frontière menacée par l’invasion des littératures étrangères. Lorsque Benjamin Constant traduisit Walstein, et, dans une préface conciliante, proposa un traité de paix aux belligérans, le fougueux champion de la tragédie ne vit là qu’un piège et s’écria : « Non, il n’y a pas de transaction possible entre nous et les barbares. Descendre à une concession, à une mésalliance, ce serait perdre nos qualités, sans nous approprier celles de la Melpomène anglo-tudesque. Si j’allais dire aux Allemands : Vous devez penser, agir et sentir comme des Français, ils méprendraient pour un fou. Eh bien! n’ayons pas non plus la sottise de nous faire Allemands. » C’était bien choisir son champ de bataille. Il avait aussi quelque raison de s’indigner contre les « iconoclastes qui brisaient les statues de nos plus grands poètes, » et de comparer certains énergumènes à « ces débauchés de Rome, qui désertaient le temple de Vénus pudique pour suivre