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épars » de l’orateur ou de l’écrivain, des commencemens de pensée ou d’expression; mais rien de complet, rien d’achevé, rien de définitif, puisqu’enfin l’écrivain n’a pas cru devoir les donner au public; et quelque chose même souvent qu’il avait condamné, puisque c’est sous une autre forme, dans ses Œuvres connues, qu’il a voulu nous le livrer. N’y aurait-il pas peut-être plus d’indiscrétion que de respect à lui soustraire ainsi ce qu’il prétendait nous cacher? et, comme certains dévots avec leur Dieu, sous prétexte de l’honorer, ne serait-ce pas en user avec lui d’une familiarité choquante? Il ne faut pas douter que Pascal eût été plus satisfait de l’ancienne édition des Pensées, — de l’édition de Nicole et de M. de Roannez, — que de la meilleure de celles qui l’ont depuis remplacée. Car, assurément moins conforme au texte même du fameux manuscrit, elle l’était bien plus à la vraie pensée de Pascal; moins complète, elle était cependant bien plus sincère; et, moins critique enfin, elle allait certainement bien plus droit au but que Pascal s’était proposé. Aussi, trois hommes en ce siècle ont admirablement parlé de Pascal : Alexandre Vinet, Sainte-Beuve, et, plus près de nous, M. Ernest Havet; on pourrait presque dire qu’ils se sont tous les trois médiocrement souciés des corrections apportées par M. Faugère, en 1844, à l’ancien texte. Mais deux hommes, à ma connaissance, en ont moins bien parlé : Victor Cousin, jadis, et plus récemment le dernier éditeur des Pensées, M. Auguste Molinier; ce sont eux cependant, Victor Cousin d’après M. Faugère, et M. Molinier, grâce à une longue et laborieuse étude, qui ont le mieux connu le texte de Pascal.

Cette affaire vous prouve que le moindre inconvénient de ces publications n’est pas de venir substituer à des vérités anciennes des erreurs nouvelles, et fausser parfois, en même temps que le caractère des œuvres et des hommes, toute l’histoire d’une grande littérature. On en vient de voir un premier exemple; il ne sera pas inutile d’en citer un second. Le jour donc où Victor Cousin, les mains pleines de « notes » et de « documens inédits, » récrivant le célèbre Mémoire de Rœderer sur la Société polie, et n’y mettant rien de plus, au total, que l’accent de sa fougueuse éloquence, conçut cette étrange pensée de réhabiliter les précieuses dans la précieuse personne de Madeleine de Scudéri, ce jour-là, c’est toute l’histoire littéraire du siècle qu’il brouilla d’un coup, et, s’il faut en juger par ce que nous voyons, en dépit des vives protestations qu’opposa pourtant Sainte-Beuve, il se passera peut être bien des années encore avant que nous rétablissions là-contre les droits de la vérité vraie. Si cependant Victor Cousin avait trouvé moins de choses dans les papiers de Conrart, il eût n)oins hardiment donné dans cette fâcheuse erreur; s’il n’y avait pas découvert une clé d’un ou deux des plus insupportables romans qu’il y ait au mon e, il eût moins admiré le Cyrus et la Clélie; s’il n’y avait pas rencontré tant