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de détails insignifians sur tant d’illustres inconnus, il eût moins délibérément essayé de les faire revivre. C’eût été tant pis pour lui,-— qui n’a fait nulle part preuve de plus de talent, — mais c’eût été tant mieux pour l’histoire de la littérature! Je veux dire qu’il n’eût pas exposé la plupart de ceux qui le suivirent à se méprendre sur l’époque de la perfection de l’art classique; et qu’il n’eût pas surtout, en diminuant les distances, rapprochant les degrés, et confondant les mérites, égalé dans l’éloge, et, pour autant qu’il était en lui, dans la gloire, la platitude même avec le génie.

Et que l’on ne dise pas qu’il n’eût dépendu que de lui d’éviter l’écueil ! Non, c’est justement là le malheur; et l’écueil est de ceux, quand une fois on a commis l’imprudence d’y gouverner, qu’il ne dépend plus de personne d’éviter. Ce que l’on apprend de plus clair, à consulter les « notes » qu’un grand écrivain a laissées, c’est trop souvent à ne plus sentir le prix de ce qu’il a lui-même achevé. Les Sermons de Bossuet ne nous ont presque servi qu’à nous rendre insensibles à tout ce que les Oraisons funèbres ont de beautés par-dessus celles des Sermons. Pareillement, quand la critique ne se propose plus de plus noble ambition que de « renouveler » les sujets à force de « documens inédits, » elle en arrive bientôt à ne plus discerner la valeur de ces documens, pourvu seulement qu’ils soient inédits. Omne ignotum pro magnifico est: tout ce qui n’est pas imprimé lui devient un chef-d’œuvre. Au milieu de ses « notes » elle perd le sentiment des ensembles, au milieu de ses « documens » le sentiment des rapports, et finalement le sentiment de l’art. Elle se fait invinciblement un système, de « préférer en tout les matériaux à l’œuvre, » comme disait Sainte-Beuve, « l’échafaudage au monument; » sa curiosité pervertie semble même devenir particulièrement sympathique aux manifestations de la sottise ; et ne trouvant déjà plus le bon Chapelain si ridicule, il faut espérer qu’elle se demandera quelque jour si Pradon n’est pas une victime de Racine qu’il serait temps enfin de venger de l’injuste indifférence de ses contemporains, — d’après des documens inédits.

A Dieu ne plaise que nous soyons jamais de cette école ! S’il faut absolument « renouveler » les sujets, il y en a d’autres moyens. Lisons un peu plus d’abord, lisons surtout plus consciencieusement. Comme il y a eu de tout temps des gens qui n’avaient pas besoin d’être de qualité pour savoir tout sans avoir rien appris, il y a eu de tout temps des critiques aussi qui n’avaient pas même besoin de talent pour parler de tout sans avoir rien lu. Je crains que l’érudition contemporaine, avec ses procédés et ses méthodes, n’en ait abondamment multiplié l’espèce. On veut des documens nouveaux : que l’on se dise donc bien tout d’abord que ce qui est imprimé depuis cent ans seulement est à peu près à notre égard comme s’il était inédit, et que, pour préciser davantage, il y aurait des « trouvailles » à faire dans la