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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 59.djvu/708

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Correspondance de Grimm, dans l’Année littéraire de Fréron, dans le Journal encyclopédique de P. Rousseau, des trouvailles non moins curieuses que pas une de celles que l’on puisse faire dans les manuscrits de nos bibliothèques. Allons plus loin encore. Quiconque lira seulement Voltaire, et le lira consciencieusement, y trouvera sûrement encore de quoi renouveler le sujet; à plus forte raison, quiconque lirait Bossuet ou Fénelon, lesquels sont d’abord moins lus, et dont les leçons, ensuite, sont moins vivantes parmi nous que les leçons de Voltaire. Il a presque suffi à M. Désiré Nisard de lire nos grands écrivains pour écrire cette classique Histoire de la littérature française, dont la beauté d’ordonnance et la rare perfection de forme ont découragé ceux-là mêmes qui, sentant bien qu’il y manque quelque chose, eussent été tentés de la recommencer. Je n’ai pas vu que M. Nisard y eût fait grand emploi de documens inédits.

Si ce n’est pas assez de lire, d’approfondir les œuvres, d’en recevoir l’impression directe, et de n’en rien dire que l’on n’en ait pensé par soi-même, il y a un autre moyen de renouveler les sujets, qui est de les étudier dans l’histoire autant qu’en eux-mêmes, de les suivre à travers les révolutions du goût, d’en épuiser enfin la diversité d’aspects, et, par le souci du détail caractéristique, d’y introduire en quelque sorte l’animation de la vie. C’est ce qu’a fait Sainte-Beuve, par exemple, dans cet admirable Port-Royal que l’on apprécie davantage, au rebours de tant d’autres œuvres, à mesure que soi-même on acquiert une connaissance plus précise et plus détaillée du sujet. Mais lui non plus n’y a pas eu besoin de tant de documens inédits. Ou du moins, il a su s’en servir, ne les aller chercher qu’à mesure qu’il les lui fallait, pour confirmer un pressentiment qu’il avait, ou même le contredire, rarement ou jamais pour lui suggérer des idées, et bien moins encore pour y découvrir d’insignes platitudes à métamorphoser en chefs-d’œuvre. A l’homme qui nous donnera, sur le XVIIIe siècle, un livre qui soutienne, fût-ce de loin, la comparaison de celui de Sainte-Beuve, au prix du même désordre, de la même complexité, du même fouillis, je lui garantis hardiment qu’il aura rendu plus de services aux lettres et à l’histoire de la littérature, qu’aucun de ceux qui nous apporteraient demain ma nouveau Candide ou une seconde Héloïse.

Rien ne s’opposera d’ailleurs, s’il en est capable, à ce qu’il ordonne plus fortement, plus savamment son sujet, et c’est encore ici, par l’ampleur de la composition et l’originalité de la construction, un nouveau moyen de le renouveler. Car si l’on peut étudier les sujets en eux-mêmes, et pour eux-mêmes, on peut aussi les étudier dans les rapports qu’ils soutiennent avec d’autres sujets. Ni la littérature, en effet, ni l’art, ne sont en dehors de la vie, mais plutôt ils sont par excellence des manifestations de la vie. Entre la littérature d’un âge ou d’une race, et les autres parties de la civilisation de cette race ou de