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« — Léon XIII, dites-vous, n’a qu’à sortir, répliquent les cléricaux ; il est maître d’officier à Saint-Pierre et dans les basiliques ; il peut à son aise se promener dans la ville ou la campagne ; mais, s’il se montre dans vos rues, lui garantissez-vous qu’il n’y rencontrera pas d’outrages, de violences mêmes ? Votre police saurait-elle mieux le protéger qu’elle ne fait les pèlerins impunément insultés aux portes du palais apostolique ? Si Léon XIII n’a pas quitté le Vatican, Pie IX, après la mort, est sorti de Saint-Pierre, et vous savez à travers quelles scènes de désordre le corps du bienheureux pontife est parvenu à Saint-Laurent hors les murs ? la haine des hordes de sectaires que vous abritez dans Rome aurait-elle eu plus de respect pour Léon XIII sortant de jour en carrosse que pour Pie IX mort, transporté de nuit à son tombeau ? Faudra-t-il, pour être en sécurité, que le saint-père sorte incognito ? Devra-t-il se déguiser ou ne sortir qu’en voiture fermée, fenêtres closes, comme un voleur qui a peur d’être reconnu ? Certes, s’il voulait vous embarrasser et démasquer votre hypocrisie, s’il ne craignait d’exposer sans nécessité la dignité pontificale, Léon XIII n’aurait qu’à suivre votre conseil, à monter en voiture et à franchir le pont Saint-Ange. Son passage dans le Corso provoquerait assurément plus d’émotion que celui du roi Humbert. Avez-vous songé à l’impression que ferait dans Rome une soudaine apparition du pape en soutane blanche, en camail rouge, traversant, dans son carrosse traditionnel, la place Colonna ou la place du Peuple ? Savez-vous quel retentissement aurait en Italie et dans tout l’univers catholique, l’hosanna des fidèles agenouillés, entremêlé au Crucifige des impies ? Votre police, presque également effarée des vivat des Romains et des imprécations des sectaires du dehors, serait bientôt contrainte de se déclarer incapable de maintenir l’ordre. S’il ne donne pas au monde cette démonstration pratique de votre impuissance à lui assurer la liberté, c’est que Léon XIII répugne à voir de ses yeux la ville des apôtres souillée par l’impiété et l’athéisme, à voir la croix arrachée du Capitole et le Calvaire renversé du Colisée, à être témoin enfin de la déchristianisation systématique et du travestissement païen de la métropole de l’église. »

À ce langage, les adversaires du pouvoir pontifical ne font pas faute de se récrier. Ils demandent ironiquement aux catholiques de quelle manière ils entendent la liberté d’un pape. Est-ce une garantie contre les attaques des fous ou l’insolence des exaltés ? « Certes, ripostent-ils, Léon XIII n’est pas libre si, pour sortir du Vatican, il veut être assuré qu’il verra tous les hommes se découvrir et toutes les femmes s’agenouiller devant lui ; s’il faut qu’on lui garantisse que personne ne lui jettera une parole d’insulte ou un coup de