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plus libre, car en quel pays moderne oserait-il se flatter d’échapper aux scandales qui pourraient blesser ses yeux dans les rues de la capitale de l’Italie ? »

Et, poussant à bout ce raisonnement, les avocats de Rome capitale se font fort de démontrer qu’en proclamant ainsi la liberté du pape inconciliable avec la laïcisation de la ville où il réside, on la déclare incompatible avec la liberté extérieure des cultes et des doctrines, c’est-à-dire avec notre civilisation et nos libertés modernes. Ce qui vous blesse à Rome, disent-ils à leurs adversaires, ce n’est pas une restriction à la liberté pontificale, mais bien la liberté accordée à tous, aux hérétiques, aux indifférens, aux libres penseurs aussi bien qu’aux catholiques. Ce que, d’après vous, les yeux du saint-père ne sauraient tolérer à Rome, ce dont vous vous montrez si choqués chez nous, c’est ce qui se voit partout ailleurs depuis déjà près d’un siècle. Si, pour qu’un pape se sente libre, il faut qu’il n’aperçoive rien sur son chemin qui méconnaisse son autorité, Léon XIII fait bien de s’enfermer dans les murs du Vatican, au milieu de ses marbres païens et de ses fresques chrétiennes. Évidemment, avec une pareille conception de la liberté, un pape ne peut être libre que dans la souveraineté, et dans une souveraineté absolue, théocratique et forcément tyrannique, qui des lois de l’église fasse les lois du pays, qui gouverne l’état comme un couvent ou un pensionnat. Et généralisant leur conclusion, les plus hardis la formulent en axiome : « Pour le pape comme pour l’église elle-même, nous le savons dès longtemps, il n’y a jamais eu de liberté que dans la domination. »

Il est hors de doute que le pape se considérant comme le représentant direct du Christ, comme l’organe vivant de la divinité, a une façon particulière d’entendre la liberté. Pour lui, comme pour beaucoup de fidèles, le pape n’est libre que là où son pouvoir spirituel est pleinement reconnu. Aux yeux d’un grand nombre de catholiques, la liberté du pape, la liberté même de l’église, consiste avant tout dans la reconnaissance de sa mission divine et dans le respect de ses commandemens : le libre exercice de son ministère leur semble lié à la soumission à ses lois. Cette manière de concevoir la liberté de l’église comme l’exercice de son autorité, en vertu de droits imprescriptibles devant lesquels les sociétés doivent se courber, est une des choses qui ont fourni le plus d’argumens aux ennemis du catholicisme, le plus de prétextes pour lui refuser, avec l’autorité qu’il réclamait, la liberté que des libéraux ne sauraient logiquement lui dénier. Une pareille difficulté doit naturellement être plus grande à Rome où siège le maître infaillible de la foi ; les catholiques s’y montrent plus enclins à confondre la liberté