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ducs de Savoie. Peu importe, du reste ; ni Léon XIII ni Pie IX n’ont jamais songé à trafiquer des monumens de la libéralité ou du génie de leurs prédécesseurs[1]. Il n’en reste pas moins vrai qu’en abandonnant au pape dépossédé la jouissance du Vatican et du Latran, avec leurs musées, sans lui reconnaître le droit d’en rien distraire, sans avoir attribué aux palais et aux musées de quoi les entretenir, on a volontairement fait au pape une situation qu’on jugeait intenable. Par là, en ayant l’air de respecter sa propriété, on lui laissait en quelque sorte les charges de son ancienne souveraineté sans les revenus. On a pour ainsi dire bloqué la papauté dans les silencieuses murailles de son palais, on l’y a enfermée avec ses fresques et ses manuscrits, ses tombeaux et ses inscriptions, avec tout son peuple de statues, comptant sur la pauvreté pour l’y assiéger et sur le manque de vivres pour la contraindre à capituler. On imaginait se rendre ainsi maître du saint-siège, le prendre lentement par la famine et le réduire enfin au rôle de pensionnaire de la maison de Savoie. C’était compter sans la généreuse piété des fidèles envers le successeur de Saint-Pierre. Jusqu’ici, ce calcul a été déjoué, et, tant qu’il restera des catholiques, on peut prévoir qu’il sera déçu. Ce n’est pas par l’argent, par la bourse qu’on prendra la papauté. Si minces et incertaines que semblent les ressources du denier de Saint-Pierre, quelque répugnance qu’aient le Vatican et Léon XIII lui-même à organiser d’une manière régulière les aumônes des fidèles et à prélever une sorte d’impôt sur ses enfans, la papauté préférera toujours la pauvreté et la gêne à l’humiliation de vivre des dons de ses spoliateurs. »

Cette question d’entretien et de vie matérielle, la plus simple en apparence, la loi des garanties ne l’a pas su résoudre. S’il a cru la trancher en votant au pape un subside annuel de 2 millions et quelques milliers de francs, le parlement italien s’est leurré d’une singulière illusion. Aujourd’hui la solution n’est plus entière. Des combinaisons qui étaient relativement faciles, alors que le gouvernement avait à sa disposition les vastes biens ecclésiastiques de Rome, alors que le parlement ne s’était pas prononcé, semblent devenues impraticables. Certes l’Italie pourrait accorder à un pape réconcilié ce qu’elle a refusé à un pape manifestement hostile. A défaut d’immeubles et de biens fonciers, elle lui pourrait céder, au lieu d’un salaire annuel, un capital équivalent en titres de rente dont le saint-siège disposerait à son gré ; mais, avec les préjugés juridiques en vogue au sud des Alpes, en face des colères et des passions

  1. Les étrangers peuvent même faire une remarque à ce propos. Tandis que la plupart des collections nationales ou municipales de l’Italie ne sont d’ordinaire visibles que moyennant un droit d’entrée, on n’a pas encore placé de tourniquets à la porte des galeries pontificales.