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éternel et comme l’éternelle pulsation du cœur de la nature, enveloppant une pensée encore inconsciente. N’est-ce point là diviniser la loi, c’est-à-dire le rapport, aux dépens des termes et de l’être? Peut-on admettre que le fond des choses soit simplement le mouvement, — un rapport, — et le raisonnement, — un rapport? Jouir et souffrir, agir et pâtir, n’est-ce pas quelque chose de plus fondamental que la logique? — Telle est la question de haut intérêt que ces doctrines soulèvent. Pour la résoudre avec quelque rigueur, il faut, selon la vraie méthode de la science, rechercher si l’élément primordial auquel se ramènent les sensations est d’ordre purement mécanique et logique, conséquemment insensible et inconscient, ou, s’il est d’ordre sensible et affectif, par conséquent conscient. Quelle est donc, si on interprète exactement les données de la psychologie scientifique, cette unité qui, multipliée et combinée de mille manières, produit la variété des sensations, de même que, mutatis mutandis, l’azote combiné avec l’oxygène en proportions diverses produit le protoxyde d’azote, le bioxyde d’azote, l’acide azoteux, l’acide hypoazotique et l’acide azotique?

La plupart des psychologues, avec MM. Spencer, Bain, Wundt et Taine, cherchent dans le toucher le type des sensations fondamentales. Les sensations du toucher, à leur tour, comprennent des sensations de contact, de température, de douleur. Les sensations de température, d’après certaines expériences, semblent se ramener dans leurs élémens primitifs à des sensations de contact. De fait, dit M. Taine, plus on s’approche d’une sensation vraiment élémentaire, plus la différence entre la sensation de température et celle d’un excitant mécanique semble s’évanouir. Par exemple, on distingue à peine la piqûre d’une fine aiguille et l’attouchement d’une étincelle de feu. Posez sur la peau un corps mauvais conducteur, comme un papier percé d’un trou de 2 à 5 millimètres de diamètre; à travers ce trou touchez la peau, tantôt avec un excitant mécanique, comme une pointe de bois, un pinceau ou un flocon de laine, tantôt avec un excitant calorifique, comme le rayonnement d’un morceau de métal échauffé; les deux sensations, ainsi limitées à ce minimum d’éléments nerveux, sont si semblables que souvent on prend une sensation de contact pour une sensation de température, et réciproquement[1]. La sensation mécanique semble donc plus fondamentale que celle de chaleur. La sensation mécanique, à son tour, a son type dans ce que M. Spencer appelle le choc nerveux, c’est-à-dire le coup, le tressaillement

  1. Voir M. Taine. p. 226 et suiv., et Fick, Anatomie und Physiologie der Sinnes-Organe, p. 28, 30, 42, 43.