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Ainsi s’expliquerait l’expérience du docteur Robin. Après avoir ranimé par l’électricité la moelle épinière d’un homme qu’on venait de décapiter, if gratta avec un scalpel le sein droit ; aussitôt le bras droit du supplicié se leva et dirigea la main vers l’endroit blessé. C’est là un mouvement de défense compliqué qu’un enfant ne sait pas faire et qui s’apprend par l’exercice. L’habitude de ce mouvement et de son adaptation à une fin était donc descendue dans la moelle du supplicié, où elle se réveillait comme les actions réflexes naturelles, probablement sous la stimulation d’une vague douleur répandue dans les cellules encore vivantes et vibrantes.

Le cerveau, disait avec raison le savant psychologue anglais Lewes, est l’organe principal et dominateur (de toute la vie mentale ; il a les fonctions les plus nobles, mais il n’exclut pas la part des autres ganglions à la sensibilité générale. Les sensations qui viennent des sens et des viscères, il les additionne, les combine, les modifie, et par un mode de transformation profondément mystérieux, les élabore en idées. Il est le généralissime qui contrôle, dirige et inspire les actions de tous les officiers subordonnés ; mais supposer que ces subordonnés n’ont pas aussi leurs fonctions indépendantes, c’est une erreur. « Généraux, colonels, capitaines, sergens, caporaux, simples soldats, tous sont des individus comme le généralissime, avec un pouvoir inférieur et des fonctions différentes, selon leurs positions respectives. Mais si le commandant en chef est tué, l’armée a encore ses généraux ; si les généraux sont tués, les régimens ont encore leurs colonels. Bien plus, par un effort énergique, un caporal peut faire tenir ferme à sa compagnie. C’est là la situation de l’animal à qui on a enlevé son cerveau ; chaque partie séparée de l’organisme a encore son général, son colonel ou son simple caporal. » Malgré cette comparaison du corps vivant avec une armée, Lewes n’a pas expressément enseigné la doctrine des sociétés d’organismes formant un agrégat de cellules vivantes, qui, quand elles sont des cellules nerveuses, deviennent probablement capables de sensations plus ou moins vives. Il n’y a pas, dans le système nerveux, une seule et unique conscience, mais probablement un très grand nombre de consciences sensitives, qui communiquent ensemble à l’état normal et se transmettent l’irritation[1].

La vie, la sensibilité, la conscience même n’est pas cette chose une et indivisible qu’avait imaginée le spiritualisme traditionnel : elle est susceptible non-seulement de directions multiples, mais de diffusion, de concentration, de transmission et de déplacement.

  1. Sur les sociétés d’organismes et de consciences, outre les travaux de MM. Schaeffle et Lilienfeld, voir M. Espinas, les Sociétés animales, et M. Perrier, les Colonies animales.