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il existe à 13 lis au nord de la ville de Lu-an-fou une montagne appelée Po-kou-chan (en latin centum frugum mons), où l’empereur Chen-nung est encore adoré aujourd’hui dans un temple fondé au VIe siècle de notre ère. Au pied de la montagne est une source nommée Po-kou-tsui, la fontaine des céréales (centum frugum fons) : c’est là que, d’après la tradition, le grand empereur Chen-nung (sorte de Triptolème oriental) enseigna à son peuple à labourer la terre et à semer le grain. De là vient que ses sujets reconnaissans le nommèrent Chen-nung, ce qui signifie : le divin agriculteur. C’est encore à ce grand initiateur qu’on a attribué les plus anciens documens sur les plantes médicinales. C’est le long d’un ruisseau qui traversait sa bonne ville de Wen-hien (aujourd’hui Houaï-king-fou, dans le Ho-nan), qu’il se plaisait à la récolte des plantes médicinales quelques siècles avant le sacrifice d’Abraham ! Le bon Chen-nung avait si bien profité de ses herborisations et de ses expériences qu’il avait reconnu pour vénéneuses non moins de soixante-dix espèces de plantes sur trois cent soixante-cinq dont il composa la description en y joignant des prescriptions médicales. C’est là ce qu’en Chine on nomme un Pen-ts’ao. Ce terme correspond au sens qu’avait en Europe le mot herbier au moyen âge, à l’époque où tel livre de la renaissance s’appelait : le Grant Herbier translaté du latin en françois. Nous avons perdu déjà quelques-uns des livres du moyen âge ; mais les Chinois possèdent encore le Pen-ts’ao de Chen-nung. Il paraît cependant qu’à l’époque où herborisait le divin agriculteur, l’écriture n’était pas inventée, et que la science se transmettait, parmi ses sujets, de génération en génération, par une tradition orale : ce qu’on nommait un Pen-ts’ao ne fut pas d’abord un livre écrit. La botanique en Chine a eu son Homère et ses rhapsodes, d’un caractère tout particulièrement utilitaire : chaque peuple a son génie.

Ce serait un curieux travail que d’établir par quelle filiation l’œuvre de Chen-nung est parvenue jusqu’à nous. Sans vouloir même essayer ici une tentative fastidieuse pour bien des lecteurs, il n’est pas hors de propos d’ajouter que l’empereur Chen-nung (nommé aussi Yao-cheng, en latin medicinœ sapiens), transmit assurément ses goûts à son successeur Huang-ti (nommé aussi Yao-wang ou medicinœ princeps), lequel ordonna à son ministre Ki-Po (nommé aussi Yao-Tsu, ou medicinœ atavus) d’examiner les vertus des plantes, de composer un Pen-ts’ao et d’y déposer des formules pour la guérison des maladies. De règne en règne, le Pen-ts’ao alla ainsi s’augmentant, jusqu’au temps du célèbre Confucius, qui, non content d’être le Selon de la Chine, en fut aussi le Pisistrate. De commentaire en commentaire, l’œuvre de Chen-nung et de ses successeurs parvint jusqu’à l’érudit Li-chi-tchen,