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comprendre et qui consiste à s’enivrer de la vue des plantes en cherchant à saisir, par une attention continue, les progrès de leur développement. On ne saurait donc s’étonner du degré d’habileté auquel un goût si exalté a dû conduire leurs horticulteurs. C’est surtout dans la culture de la pivoine arborescente, le mou-tan, que cette habileté et cette passion se sont révélées : greffé des rejetons de belle espérance sur la racine d’un vieux pied, abri contre les chaleurs au moyen de cabanes en paille qui rappellent celles de nos bains de mer, il n’est pas d’excentricité horticole qu’ils n’aient inventée pour s’assurer des races nouvelles de cette plante. Cet engouement a même été censuré par les sages de la nation. Quand le fondateur de la dynastie des Ming eut achevé de chasser les Mogols de l’empire, on vint lui présenter, pendant le voyage où il recevait les félicitations de ses peuples, des mou-tan d’une beauté ravissante. Aussitôt ce prince, comme s’il n’eût pas connu le mou-tan, demanda quelle espèce de fruit succédait à cette belle fleur, et, sans attendre la réponse, commanda que l’on lui en servît dans la saison. Le mandarin préposé à ce service comprit la leçon, et quelque temps après fit présenter à l’empereur, sous le nom de fruit de mou-tan, d’excellentes et magnifiques pêches.

Les empereurs ont du reste encouragé surtout la production, tant dans les potagers et les vergers que dans la grande agriculture. « J’aime mieux, a dit l’empereur Kang-hi dans ses Observations d’histoire naturelle, procurer une nouvelle espèce de fruits ou de grains à mes sujets que de bâtir cent tours de porcelaine. » Deux siècles avant lui, un prince de la dynastie des Ming avait publié un Pen-ts’ao des plantes bonnes à cultiver en temps de disette, après avoir consulté l’expérience des paysans et des fermiers. Mais l’enseignement agricole remonte en Chine encore bien plus haut, jusqu’au divin Chen-nung, qui sema le premier les céréales. C’est en mémoire de ce fondateur que tous les ans, à l’équinoxe du printemps, le Fils du Ciel, habillé de vêtemens jaunes et manœuvrant une charrue que traîne un bœuf de la même teinte, s’en vient, précédé du maire de Pékin et suivi d’un cortège de princes et de mandarins, semer officiellement les cinq céréales. Cela est décrit dans tous les livres qui traitent de la Chine ; on s’est même évertué à déterminer les cinq céréales semées ainsi, sans comprendre la valeur idéale de ce nombre cinq, fondamental chez les Chinois. Ils ont les cinq élémens (l’eau, le feu, le bois, les métaux et la terre), les cinq fruits, les cinq facultés, les cinq félicités, etc. Le pied chinois (wéi) est divisé en cinq tsun ou pouces. Il ne pouvait y avoir, dans une cérémonie d’un caractère avant tout religieux, que cinq céréales. Effectivement l’empereur, ou du moins les laboureurs qui accompagnent le cortège officiel, n’en sèment ce jour-là que cinq.