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confiance, mais toujours avec plus de surprise; cet excès d’humilité, à la fin, étonne Henri lui-même : il jette un coup d’œil sur sa mère et comprend tout. Au moment où Julien va sortir, répétant qu’il préfère la retraite au combat, Henri lui barre le passage : « Il ment! crie-t-il avec éclat. Vous voyez bien qu’il ment! Julien, tu vaux mieux que moi. Embrasse-moi, mon frère. »

Mais Henri de Maucroix est extrême en tout : ce n’est pas assez pour lui de donner le baiser de paix à Julien; il veut lui donner son nom, la moitié de son patrimoine et Germaine. Un notaire présent assure que le marquis et la marquise de Maucroix peuvent légitimer ce fils. « Et ma mère! s’écrie Julien. Qu’est-ce que vous faites de ma mère? » La mère s’est sacrifiée à la cantonade, pendant que le reste des personnages se sacrifiait à l’envi sur la scène. Le marquis de Maucroix, dont la faiblesse ne se dément pas, a laissé partir sa maîtresse aussi facilement que naguère il avait abandonné sa femme. Hélène défend qu’on la suive, elle achèvera ses jours dans un couvent. Julien, pourtant, s’élance sur ses traces: « Je vous attendrai, » lui dit Germaine. Henri lui donne encore l’accolade et lui crie : « Au revoir ! »

Nous attendrons pour blâmer ce dénoûment qu’un de ceux qui le déclarent mauvais en propose un meilleur. C’est la rançon de ces sortes de pièces, où la volonté de l’auteur force des élémens contraires, qu’elles ne peuvent ni mal finir ni tout à fait bien; il faut que le dramaturge les arrête en un certain point par un compromis avec la vérité. La seule question est de savoir si ce compromis est à ce point désagréable que, plutôt que de l’accepter, le public repoussera toute la pièce. Il est certain que, si Julien disparaissait avec sa mère sans espoir d’épouser Germaine, le spectateur serait furieux; il est certain, d’autre part, que si le drame s’achève le plus heureusement qu’il est possible, il est cependant malaisé d’imaginer comment se composera dans l’avenir le bonheur de la famille Maucroix. Plutôt que de nous offrir ce dénoûment tel quel, fallait-il que M. Delpit rejetât son drame dans le néant? Personne ne le soutiendra; plutôt que de les perdre, le public achète volontiers, au prix de la convention qui les termine, ces trois actes où brillent tant de beautés scéniques.

Par la même raison, je ne citerai même pas les chicanes amoncelées sur l’invraisemblance des conditions de ce drame; je n’entreprendrai ni de blâmer ni d’excuser le mépris que paraît professer l’auteur de certaines difficultés d’ordre matériel; plutôt que mépris, c’est, je crois, ignorance heureuse. M. Delpit traverse l’abîme sans vertige, comme le somnambule qui n’en voit pas le vide ; s’il s’était embarrassé de tous les scrupules qu’on veut maintenant lui jeter dans les jambes, il ne serait pas sans doute allé jusqu’au bout : la belle avance pour les critiques !