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du conseil se méprendrait étrangement s’il se figurait se tirer toujours d’affaire avec une certaine habileté, s’il croyait qu’il n’y a qu’à serrer un peu les freins, à tempérer momentanément ce qu’il y a de par trop violent dans certaines mesures, à parler de modération, de conciliation, et à continuer la même politique. Il se tromperait parce que c’est justement cette politique qui a fait tout le mal, qui a créé la situation où nous nous débattons, où l’on n’est pas même sûr de rester maître du premier incident qui éclate.

Eh! sans doute, rien n’est plus facile en apparence que de se tenir dans un certain équilibre, de marcher plus ou moins longtemps entre des républicains violens qu’on redoute, mais dont on n’ose décliner l’onéreuse alliance, et les modérés qu’on préférerait, mais avec lesquels on craindrait de se compromettre. Avec cela, on n’arrive à rien, ou plutôt on arrive à tout perdre et à s’user dans une œuvre impossible. On se figure toujours qu’on n’ira pas trop loin, qu’on réussira à maintenir ce qu’on appelle la politique républicaine dans une certaine voie prudemment ou habilement tracée, et, au bout du compte, sous prétexte de concessions nécessaires, on finit par tout livrer. Un jour, pour faire provision de popularité, on invoque la raison d’état, on entreprend la campagne des décrets contre les congrégations religieuses, ou bien on suspend par autorité discrétionnaire les traitemens ecclésiastiques; un autre jour, on se jette dans les entreprises fastueuses pour capter le suffrage universel, on prodigue les ressources financières du pays jusqu’à épuiser le budget et le crédit. Tantôt c’est la magistrature qu’on détruit dans son indépendance sous prétexte de la réformer, qu’on abandonne à tous les ressentimens, à toutes les convoitises de parti; tantôt c’est l’armée qu’on laisse ébranler dans ses institutions, dans sa discipline, dans son esprit. Organisation militaire, représentation diplomatique, administration, finances, paix religieuse, tout y a passé par degrés. Et remarquez que toutes les fois qu’il y a eu quelque projet de destruction déguisé sous le nom de réforme, quelque atteinte méditée contre les institutions du pays, les chefs de la politique prétendue républicaine ont toujours tenu le même langage; ils ont dit et répété qu’il fallait encore une concession, que, sans cela, on ne sauverait rien, on allait tout compromettre. Les concessions ont été faites, et on n’a rien sauvé. On n’a cessé de se laisser aller à ce courant d’une opinion surexcitée ou factice, et le résultat de ce système, c’est précisément ce que nous voyons : c’est cette situation minée, affaiblie où nous sommes, où le radicalisme s’infiltre de toutes parts et fait son œuvre de désorganisation. Ce n’est pas nous qui le disons, ce sont les républicains eux-mêmes qui commencent à le dire tout haut, parce qu’ils ne peuvent plus fermer les yeux sur un mal croissant qui menace la république dans son existence. Le résultat, il est là sous toutes les formes, il éclate à tous les