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que nous puissions être à y voir les débuts de l’art graphique, nous ne saurions quant à présent poser une conclusion aussi importante.

A plusieurs reprises, nous avons parlé des figures de toute grandeur peintes sur les rochers ou sur les parois des cavernes. Nous aurions pu multiplier les faits à volonté ; de semblables figures se rencontrent souvent dans les deux Amériques. Certaines grottes de la Californie étaient, au dire des chroniqueurs, couvertes de peintures représentant des hommes et des animaux aux formes étranges, et si admirablement conservées que les Conquistadores n’en pouvaient croire leurs yeux ; mais si ces grottes ont existé, elles ont disparu depuis longtemps, et nous sommes disposé à voir dans leur description l’exagération assez habituelle des Espagnols. Ce qui est vrai, c’est que toutes les peintures venues jusqu’à nous sont d’un caractère bizarre, d’une exécution comparable à celle des gravures ou des sculptures dont nous venons de parler, et que si elles ont pu avoir une signification historique ou symbolique, cette signification, à part de rares exceptions, reste absolument ignorée.

L’usage des couleurs était certainement connu des Américains dès la plus haute antiquité. Les ocres, le noir de suie, le blanc de calcaire, avaient sans doute fourni les premiers élémens, et l’idée de les utiliser n’avait rien au-dessus des conceptions les plus primitives. L’expérience amène rapidement le progrès; l’homme apprend à extraire les couleurs végétales des feuilles, des fruits, des racines, des tiges, des graines des arbres. La matière colorante était aussi empruntée, comme la pourpre de Tyr, aux mollusques de la mer. Les Péruviens et les Mexicains savaient étendre ces couleurs sur les tissus qu’ils fabriquaient. L’étoffe était ensuite exposée à l’action de la lumière, et on obtenait par ce moyen des teintes variant du rose tendre au violet le plus sombre. Les couleurs ainsi fixées n’étaient même pas atteintes par la décomposition cadavérique. Notre nouveau musée du Trocadéro possède une collection d’étoffes provenant des huacas du Pérou; les vêtemens des momies enfouies depuis des siècles conservent encore sur leur trame rongée la couleur primitive.

Par des procédés probablement analogues, les Mexicains obtenaient le coloris brillant si remarquable de leurs pictographies. Ces pictographies, véritables manuscrits dont un petit nombre seulement est parvenu jusqu’à nous, retracent l’histoire du pays, ses traditions nationales, la généalogie de ses rois et de ses nobles, le rôle des tributs des provinces, les lois, le calendrier, les fêtes religieuses, l’éducation de l’enfance, un résumé complet, en un mot, de tout ce qui touchait aux mœurs, aux usages, à la vie du peuple ; elles étaient peintes en couleurs différentes sur de la toile de coton,