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— White?

— Quoi ? demanda-t-il en se renfrognant.

— Est-ce que par hasard vous auriez vu le revenant?

— Oui, monsieur, je l’ai vu, cria White en se rapprochant de la table pour tendre au président un papier qui appela l’attention du conseil sur d’autres questions.

Le bruit courut alors par la ville que quelqu’un était entré la nuit chez Roquelin, et y avait découvert quelque chose d’épouvantable. Cette rumeur n’était que l’ombre de la vérité contournée, défigurée à la manière de toutes les ombres. Il avait vu se promener des squelettes et n’avait échappé aux griffes de l’un d’eux qu’en faisant le signe de la croix.

Certains écervelés qui avaient le goût de l’horrible rassemblèrent assez de courage pour s’aventurer à travers le marais desséché, par le sentier des bestiaux, et arrivèrent devant la maison à l’heure spectrale où l’air se remplissait de chauves-souris. Quelque chose qu’ils entrevirent, — c’était encore trop de l’entrevoir, — les renvoya de ci, de là, éperdus, fuyant à toutes jambes à travers les saules et les buissons d’acacias. Arrivés chez eux, hors d’haleine, ils fournirent des renseignemens très vagues :

Était-il blanc? — Oui. — Non. — Presque; — nous ne pouvons le dire. — Mais nous avons vu... — Et personne ne pouvait douter, devant leurs figures, d’une pâleur de cendre, qu’ils eussent vu en effet.

— Si cette vieille canaille habitait le pays dont nous venons, disaient certains Américains, on lui ferait la vie dure. — Une idée! s’écrièrent-ils un jour, s’adressant à un parti nombreux de créoles qui ne demandaient pas mieux que de lui faire la vie dure en effet, comment appelez-vous cette musique qui est à la mode ici quand un vieux épouse une jeune fille et que?..

— Charivari ! dirent les créoles.

— C’est cela. Pourquoi ne lui donneriez-vous pas un charivari? Heureuse proposition qui porta ses fruits.

Le petit White et sa femme étaient assis côte à côte, certain soir, sur les marches de leur maison, autrement dit sur le trottoir, comme le veut la coutume créole. La vue n’avait pourtant rien de très agréable, dans la rue neuve qu’ils habitaient : les maisons, toutes petites, s’éparpillaient comme au hasard, et, à travers les terrains vagues, extrêmement plats, l’œil rencontrait toujours, au-dessus du fouillis des hautes herbes et des buissons, la triste silhouette d’un bâtiment coiffé de travers, qui cachait la face du soleil couchant. C’était la demeure du vieux Roquelin.

Le croissant de la lune, blanc et fin, suspendait l’extrémité de sa corne inférieure au-dessus d’une des cheminées..