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entrailles quand on la serre avec la main ; elle les rejette toujours quand on la plonge dans l’esprit-de-vin. Voici l’explication du phénomène, telle que M. Schneider l’a donnée. Si l’on retire l’animal de l’eau, il se contracte tout entier, comme les actinies ; ce mouvement a pour premier et immédiat effet de projeter au dehors l’eau contenue dans le corps de l’animal, absolument comme les moules projettent l’eau par la brusque occlusion de leur coquille. Inutile de croire que l’animal, en effectuant sa contraction, ait l’intention formelle d’arroser l’agresseur. Le jet d’eau est l’effet immédiat et non prémédité de la contraction ; il ne suppose pas une « représentation mentale inconsciente, » mais simplement une sensation pénible et un effet mécanique de cette sensation. Si on continue de tenir l’holothurie dans la main et si on la tourmente davantage, la contraction devient plus intense ; qu’arrive-t-il alors ? L’animal lance au dehors la matière laiteuse, gluante et étonnamment collante qu’on a beaucoup de peine à enlever. Cette substance donne la mort aux petits animaux, qui ne peuvent s’en débarrasser, et les grands animaux marins, tout comme l’homme, ne peuvent en subir le contact sans un profond dégoût. On en a parfois conclu qu’en projetant cette matière, l’holothurie avait l’intention de tuer ses adversaires. Mais l’animal n’y songe pas plus qu’il ne le faisait en lançant un jet d’eau : il faut voir là un effet mécanique, approprié sans doute, mais dû à la sélection et transmis par l’hérédité ; c’est un simple résultat de la contraction primitive, qui seule est consciente, étant accompagnée de douleur. Que l’on continue d’irriter l’holothurie, qu’on la plonge dans un bain mortel d’alcool, l’intensité de son effort contractile augmente encore, et l’animal va même, à l’encontre de son intérêt, jusqu’à projeter finalement ses entrailles par la bouche. M. de Hartmann soutiendra-t-il que l’animal veut cet effet de la contraction ? — Il y a des phénomènes analogues chez les vers, les gastéropodes, les céphalopodes, enfin les vertébrés. M. Schneider a raison de conclure que les mouvemens de défense, chez les animaux inférieurs, sont les manifestations variées d’un seul et même pouvoir, celui de répondre aux impressions désagréables par la contraction du corps. On croira peut-être voir dans cette contraction l’analogue de ce que les anciens psychologues appelaient l’aversion ; mais ce mouvement de contraction n’a, selon nous, d’élément psychologique que la douleur ; il ne suppose pas une intention, une volonté, une finalité, comme l’aversion des anciens psychologues. Son effet défensif n’est pas prévu : il résulte de la simple contraction générale du corps et des variétés que la sélection naturelle apporta peu à peu, dans le cours des siècles, à ce mouvement fondamental.

Grâce au mécanisme nerveux que la sélection naturelle a ainsi