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simples de l’esprit n’ont point la simplicité qu’on leur attribue. La sensation du son, par exemple, varie selon l’intensité, l’acuité, l’amplitude, le nombre, la combinaison des vibrations : il y a là une divisibilité analogue à celle qui résout les corps en molécules et atomes. « Les états que la conscience nous affirme comme simples, dit M. Ribot, et qui en effet sont simples pour elle, en fait sont composés. Les affirmations de la conscience, invoquées si souvent par les psychologues d’une certaine école comme un jugement sans appel, se trouvent donc ainsi réduites à une certitude toute relative[1]. » Maintenant, trois hypothèses sont possibles, nous l’avons vu, sur la formation de ces états composés qui nous paraissent simples. Les uns admettent que, « puisque cent mille riens ne sauraient faire quelque chose, » la sensation consciente appelée simple résulte d’une somme d’états d’esprit inconsciens ; les autres admettent, comme Hamilton, que la sensation dite simple résulte d’une synthèse d’élémens hétérogènes et inconsciens : « elle est par rapport à eux comme est, en chimie, une combinaison à l’égard de ses élémens. » Nous rejetons ces deux premières hypothèses. D’une part, nous avons vu que le raisonnement de Leibnitz conclut aussi bien et mieux à de petits états de conscience élémentaires qu’à de petits états inconsciens ; car on peut dire que cent mille zéros de conscience ne feront pas une conscience. D’autre part, s’il est rationnel d’admettre avec Goethe et Hamilton une chimie mentale, il est difficile que la conscience proprement dite et en son sens général (nous ne disons pas la conscience de soi) se réduise à une combinaison chimique d’élémens inconsciens. La combinaison chimique qui semble la plus nouvelle, comme l’eau résultant de l’oxygène et de l’hydrogène, n’a en réalité que des propriétés réductibles à la mécanique des atomes. Cette combinaison peut être traduite dans les mêmes termes que ses composans : mouvemens et forces ; mais de l’inconscient absolu au conscient, de l’insensibilité absolue à la sensibilité il y a un passage pour nous infranchissable. Un tel passage nous semble incompatible avec cette loi même de continuité universelle dont la forme moderne est la théorie de l’évolution. — « On ne serait jamais éveillé, aimait à dire Leibnitz, par le plus grand bruit du monde, si on n’avait quelque perception de son commencement, qui est petit, comme on ne romprait jamais une corde par le plus grand effort du monde, si elle n’était tendue et allongée un peu par de moindres efforts, quoique cette petite extension qu’ils font ne paraisse pas. » — Mais on peut retourner l’argument et appliquer la même loi de continuité à la conscience : le

  1. Psychologie allemande, p. 361.