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qui, le plus souvent, n’a consisté qu’en une série de concessions au radicalisme, à des passions de secte ou de parti, et elle a porté tous les fruits qu’elle devait porter. Elle n’a produit que de déplorables mécomptes dans les affaires extérieures, dans l’administration civile et morale du pays, dans les finances publiques, dans l’organisation des forces nationales. Avec la jactance de dominateurs improvisés, les républicains ont conduit les affaires de la république à ce point où l’on touche à la nécessité d’une sorte de liquidation avant d’aller plus loin. Tout le monde le sent et l’avoue. Les discours par lesquels M. le président du conseil a préludé à la session n’ont aucun sens, ils ne sont que la plus banale et la plus inutile des tactiques, s’ils ne signifient pas que le gouvernement lui-même est le premier à sentir la nécessité de s’arrêter dans la voie où l’on s’est laissé entraîner, de rompre avec une certaine politique, de chercher ce qu’on appelle, dans le langage du jour, une orientation nouvelle. M. le président du conseil en dit assez pour laisser croire qu’il a un certain instinct des difficultés qui l’entourent, auxquelles un gouvernement sérieux a aujourd’hui à tenir tête s’il veut reconstituer une situation meilleure. Il resterait seulement à savoir comment il entend cette orientation nouvelle, ce qu’il veut dire avec ses déclarations de guerre aux « intransigeans, » avec ses appels à l’union des républicains et ses protestations en faveur d’une république modérée. Il resterait aussi à savoir, en supposant qu’il ait lui-même des idées nettes, jusqu’à quel point il peut se promettre l’appui d’une majorité dans les chambres. C’est là encore une autre question qui n’est ni résolue ni éclaircie, qui recevra peut-être quelques lumières des prochaines discussions du parlement.

Que ce ne soit pas une œuvre facile de raffermir une situation si profondément ébranlée, de ressaisir une certaine autorité de direction et de rallier à une politique de raison et de modération une majorité parlementaire accoutumée jusqu’ici à n’obéir qu’à des passions de parti, nous en convenons. Encore cependant faut-il commencer par s’entendre, par dire avec quelque précision ce qu’on veut faire et comment on veut le faire. M. le président du conseil, dans son discours du Havre, s’est très vivement défendu de vouloir être le chef d’un gouvernement de réaction, d’un gouvernement stationnaire, ennemi du progrès et des réformes républicaines. Qui donc lui demande d’inaugurer une ère de réaction ou de répressions violentes, d’être l’ennemi du vrai progrès et des réformes sérieuses ? Tout ce qu’on lui demande, c’est de savoir ce qu’il veut, de conformer ses actions à son langage et de ne pas prétendre toujours faire de l’ordre avec du désordre, selon le vieux mot révolutionnaire. Car enfin il faut être clair ! C’est d’un bel effet sans doute de se camper fièrement, d’appeler les « intransigeans » en combat singulier, de leur dire qu’ils sont le péril du moment, qu’ils