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chose de sublime dans leur quiétude et d’aspirant à la tombe par leur direction naturelle vers la terre. » Quant à la situation délicate d’Atala et de Chactas dans les savanes, objet des mordantes plaisanteries de l’abbé Morellet et de Marie-Joseph Chénier, elle n’était pas une gaucherie, c’était la donnée même du drame; elle ne pouvait être modifiée sans que l’œuvre perdît son caractère. Vraie ou fausse, la situation était sauvée par les larmes. Joubert l’avait bien compris.

Atala parut en avril 1801. Les prédictions de l’amitié se réalisèrent. Le succès dépassa toutes les espérances; l’étrangeté de l’ouvrage ne fit qu’ajouter à la surprise de la foule. L’auteur devint à la mode ; son nom passa la frontière, et quatorze traductions, — trois en anglais, sept en italien, deux en allemand, deux en espagnol, — rendirent populaire une œuvre qui rompait de toutes façons avec une littérature fade et vieillie, si nous en exceptons Bernardin de Saint-Pierre et Mme de Staël.

Tandis que les intelligences sans préjugés se désaltéraient avec avidité à cette source fraîche qui venait de jaillir d’une terre épuisée, Mme de Beaumont n’écoutait pas sans tristesse les protestations ironiques et violentes du parti philosophique contre les applaudissemens qui accueillaient Atala. Fontanes, dans le Mercure'' du 16 germinal an IX, avait annoncé le livre d’une façon touchante : « L’auteur est le même dont on a déjà parlé, plus d’une fois, en annonçant son grand travail sur les beautés morales et poétiques du christianisme. Celui qui écrit l’aime depuis douze ans, et il l’a retrouvé d’une manière inattendue, après une longue séparation, dans des jours d’exil et de malheur; mais il ne croit pas que les illusions de l’amitié se mêlent à ses jugemens. » Dussault, dans le Journal des Débats (27 germinal an IX), faisant un parallèle entre Paul et Virginie et Atala, attribuait à l’un plus de douceur, de sagesse, de retenue ; à l’autre, plus de force, d’impétuosité et de hardiesse. Enfin, Geoffroy lui-même, que Mme de Beaumont redoutait, Geoffroy dont elle disait : « Êtes-vous bien sûr qu’en ruant il montre quatre fers de bon aloi, et n’y aurait-il pas quelque bout d’une corne tout usée? » Geoffroy parlait d’Atala comme d’une fiction vraiment originale, dont les détails, aussi neufs qu’imprévus, avaient agrandi le domaine de la haute poésie et enrichi notre langue poétique. Il appelait Chateaubriand l’Homère des forêts et des déserts, pour s’être servi le plus heureusement des formes antiques.

Qui eût pensé que la voix discordante de l’abbé Morellet, bien avant celle de Marie Chénier, se fût élevée, après trente ans de silence, au milieu de ce concert d’éloges? L’abbé était bien connu