Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 60.djvu/349

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

douze jours et demi pour les transports français, dix jours seulement pour les grands paquebots britanniques. Les navires à voiles faisaient jadis, quand ils étaient bons marcheurs, le voyage d’Aden à Bom; ay en quinze ou seize jours, et c’est, en effet, seize; jours qu’employait récemment la corvette mixte le D’Assas pour parcourir cette distance de 1,632 milles. De seize jours à quarante, la différence est grande, et, si Pline ne s’est pas trompé dans ses calculs, il faut supposer que les capitaines marchands d’Alexandrie attendaient, pour quitter le Golfe-Arabique, le moment où le Favonius de Pline, le Libo-Votus d’autres géographes, la mousson de sud-ouest, en un mot, autrement dit encore le vent d’Hippalus, commençait à perdre de sa force.

C’est un vent bien fougueux que ce vent de sud-ouest quand, après un débat assez long avec la mousson contraire, il est enfin parvenu à établir son empire sur tout l’Océan indien. On a vu des navires de plus de 3,500 tonneaux, ayant à leur disposition voiles et machines, des navires de 83 mètres de long et de près de 14 mètres de large, enfoncés dans l’eau de 6 ou 7 mètres, se trouver sur le point de ne pouvoir prolonger plus longtemps la lutte et d’être obligés de refuser leur hanche ou leur travers à la vague pour lui présenter en vaincus la poupe. C’était le 8 juin; on sortait à la vapeur de la Mer-Rouge. La brise, d’un calme presque complet, prend peu à peu au sud-sud-est en fraîchissant; quelques heures après, le journal de bord enregistre : bonne brise halant le sud et le sud-ouest, puis grand frais de sud-ouest et mer grosse. Il serait déjà imprudent, de faire roule; il faut mettre à la cape sous la grand’voile goélette tribord au vent. Le temps devient brumeux et revêt une mauvaise apparence. Grand frais et mer très grosse; le navire fatigue beaucoup. On remplace la grand’voile goélette par l’artimon, on fait pousser les feux et on marche doucement à trente- cinq tours d’hélice à la minute. C’est encore le meilleur moyen d’éviter à la coque rudement secouée les paquets de mer. Deux jours se passent ainsi : on est toujours en cape. Mer très grosse, violens coups de roulis; à une heure du matin, deux rayons de la barre se cassent, le gabier de barre est blessé. Le troisième jour, la brise semble mollir un peu; on veut en profiter pour faire roule grand largue : au bout de quelques heures, il faut se résigner à gouverner à la lame, c’est-à-dire à se laisser porter où la vague vous pousse, comme si l’on était encore au temps d’Annius Plocamus. On se propose d’aller à Ceylan et l’on risque fort d’aboutir à Bombay. « C’est une des mers les plus grosses que j’aie rencontrées, même dans les cyclones, » m’écrivait un officier embarqué alors sur ce transport. Heureusement, le 13 juin, la brise peu à peu se calme, de petits grains de pluie succèdent à la bourrasque et,