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à la science contemporaine sa terminologie, que les anciens ont connu surtout la « statique » de l’art; il reste à l’art moderne, avec le mouvement et l’expression, ce que nous appellerons la « dynamique » de l’art. Suivant dans son progrès l’évolution même de la beauté humaine, l’art tend à remonter, en une certaine mesure, des membres au front et au cerveau.

L’histoire, comme la physiologie, a fourni contre l’avenir de l’art un certain nombre d’argumens spécieux. Le développement de tel ou tel art semble le plus souvent attaché à certaines mœurs et à un certain état social. Selon M. Taine, il est plusieurs arts dès aujourd’hui languissans, « auxquels l’avenir ne promet pas l’aliment dont ils ont besoin. » « Le règne de la sculpture est fini, dit M. Renan, le jour où l’on cesse d’aller à demi nu. L’épopée disparaît avec l’âge de l’héroïsme individuel; il n’y a pas d’épopée avec l’artillerie. Chaque art, excepté la musique, est ainsi attaché à un état du passé; la musique elle-même, qui peut être considérée comme l’art du XIXe siècle, sera un jour faite et parachevée. »

L’art le plus compromis dans les temps modernes est la sculpture, et Victor Cousin avait dit avant M. Renan qu’il ne saurait y avoir de « sculpture moderne » avec les mœurs de nos jours. Mais d’abord, en admettant que cet art soit aussi compromis, les progrès de la science n’y sont pour rien ; au contraire, la sculpture antique vivait elle-même par la science. Les artistes anciens étaient plus savans dans la technique de leur art que nos artistes modernes. A la Renaissance, les Léonard de Vinci et les Michel-Ange étaient de puissans génies scientifiques. Loin de tuer la sculpture, c’est peut-être la science moderne qui sera capable un jour de la rajeunir : rien de plus précieux pour l’art, par exemple, que les recherches commencées par des savans tels que Darwin sur l’expression des émotions. « Il n’est pas permis au sculpteur, a écrit Ruskin, d’être en défaut soit pour la connaissance, soit pour l’expression du détail anatomique. Seulement, ce qui pour l’anatomiste est la fin, est pour le sculpteur le moyen... Le détail n’est pas pour lui une simple matière de curiosité ou un sujet de recherche, mais l’élément dernier de l’expression et de la grâce. » La plastique et la science ne s’excluent donc point. Quant au changement des mœurs, il n’a pas entraîné et n’entraînera pas, sans doute, la disparition de la statuaire. On ne refera point la Vénus de Milo ou l’Hermès de Praxitèle; mais qui sait si le statuaire ne deviendra pas capable de fixer dans la pierre des idées, des sentimens poétiques que les Grecs, avec toute la perfection plastique à laquelle ils étaient arrivés, n’auraient pu rendre ni peut-être concevoir ? Praxitèle n’eût pas imaginé la Nuit ou l’Aurore de Michel-Ange; Michel-Ange, ce poète de la pierre, — et ce penseur, — n’eût pu exécuter telle ou telle œuvre de Praxitèle.