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répondrait suffisamment la discussion qu’on vient de rappeler. Pour les hommes de cette époque, qui supprimaient les privilèges et en avaient horreur, le rétablissement d’avoués accrédités auprès des tribunaux n’impliquait nullement un privilège dans le sens vrai du mot. Or ils n’avaient pas supprimé l’ordre des avocats comme corporation ou association privilégiée; ils voulaient rendre le barreau plus libre, aussi libre qu’il doit l’être, selon la parole de Bergasse; jamais d’ailleurs il n’était apparu sous cet aspect dans le passé; ces hommes le savaient bien. Mais aujourd’hui l’ordre des avocats est reconstitué. Comment donc serait-il devenu une association privilégiée, contrairement aux idées de l’assemblée constituante sur les privilèges? Il faudrait nécessairement le demander ou à la loi de l’an XII, qui ouvrait les écoles de droit et rétablissait le tableau des avocats, ou au décret de 1810, qui reconstituait l’ordre, ou à l’ordonnance de 1822, qui l’affranchissait. Alors le problème se simplifie beaucoup, car rien absolument ne ferait sortir de ces documens la pensée, la préoccupation d’un privilège quelconque. La profession est-elle donc une carrière fermée? Nullement. Elle est ouverte à tous, mais n’y entre que celui qui est probe et capable ; à cet égard, l’exclusion n’existe que dans l’intérêt général. Il faut reconnaître que le monopole qui s’exercerait dans un intérêt général serait un étrange monopole, d’après les idées, reçues, puisque tout le monde en aurait le bénéfice, et qu’il y aurait quelque ridicule à le critiquer et à s’en plaindre. Demandons le dernier mot de cette trop longue réfutation au président actuel de la république, à M. Grévy, bâtonnier : « Ne redoutons pas, a-t-il dit, que la liberté, que l’ordre a tant servie, le répudie jamais sous le nom de privilège, puisque l’accès en est permis à tous, et que, s’il exige des garanties, c’est par une nécessité commune à toutes les professions qui touchent aux intérêts publics[1]. »

Que sont, après tout, ces querelles de terminologie sur une institution qui occupe une si large place dans tous les pays? De petites guerres sans utilité et sans profit pour personne, des critiques irritantes qui s’arrêtent à la surface des choses au lieu d’en rechercher le fond ou d’y voir ce qui y est en réalité. Ne vaut-il pas mieux se demander si le barreau tel qu’il est constitué répond à tous les besoins de la défense dans la société et se tient suffisamment à l’avant-garde pour repousser les attaques, d’où qu’elles viennent, d’en haut ou d’en bas, d’en haut surtout? C’est pour parler à tous et de tout avec une entière liberté qu’il a été fait et qu’il doit être indépendant. On peut affirmer qu’il est fort par sa constitution et que le talent ne lui fait pas défaut. Ce sont là d’incontestables avantages

  1. Discours prononcé à l’ouverture de la conférence, le 26 décembre 1868..