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sont nécessaires, » Au barreau à mesurer son droit suivant les circonstances et à régler la portée des coups qu’il peut porter, qu’il est forcé de porter dans l’intérêt de la cause. Plein de respect pour les magistrats, pour les parties, pour les adversaires, celui que Villemain appelle le Fénelon des avocats, à raison du sentiment religieux qu’il mêlait à ses plaidoiries, Erskine ne reculait pas devant les attaques qui lui semblaient indispensables. — Berryer, Paillet, Bethmont, qui jouissent assurément de l’estime du pays, ont agi de même dans les cas où la situation le commandait, chacun avec la pente de son caractère et de son talent, Berryer dans sa fougue hautaine, Paillet avec esprit, Bethmont avec une ironie contenue qui ne détruisait pas toujours l’acuité du trait.

Le palais a conservé le souvenir d’une personnalité qui fut cruelle, mais ne parut pas néanmoins dépasser la limite légitime du droit. Un ancien journaliste, devenu fonctionnaire, citait un journal en cour d’assises pour diffamation. Le défenseur posa cette thèse hardie que les plaintes de cette nature n’étaient pas permises à celui qui, toute sa vie, avait usé de la plume sans modération et sans pitié vis-à-vis de ceux qui avaient eu le malheur de lui déplaire, et, prenant l’adversaire corps à corps, il se fit son accusateur : « Un homme, dit-il, a donné au pays, a donné au monde le spectacle de tout ce que la presse peut commettre d’abus et de violences ; il a tout attaqué ; rien n’a pu préserver de ses injures, ni le talent, ni la probité, ni la noblesse de caractère, ni les services rendus à la patrie. Il n’a rien respecté, pas même la magistrature, sous l’impartialité de laquelle il vient s’abriter aujourd’hui. Il a fait à tous et à tout une guerre de tous les jours, une guerre acharnée. Il n’est pas une administration, pas un homme, pas une institution qu’il n’ait outragés. Il a appelé Casimir Perier un voleur ; le glorieux Soult, il l’a traîné dans la boue, malgré ses victoires. Les ministres, il les accusait chaque matin de ruiner le trésor. Si enfin un homme auquel la France rend hommage, si M. de Montalembert, parlant à une tribune qui n’existe plus, nous montre la révolution qui nous menace, l’anarchie qui nous envahit, dans quel langage ne le traite-t-il pas ? « Peut-on savoir, dit-il, ce que la vésicule d’un dévot renferme de fiel ? » Et la sainte indignation de l’orateur, il l’appelle « une diatribe sans talent, une colère mêlée de bave et d’eau bénite. » Enfin, le jour de la justice arrive : nous voulons user de la liberté qu’il dit nous avoir faite, et lui, — l’insulteur public, nous appelle sur ces bancs, parce que nous signalons ses dilapidations partout reconnues et partout proclamées. Il veut que vous nous condamniez ! Non, cela n’est pas possible[1]. » Le trait était

  1. Affaire de l’Assemblée nationale devant la cour d’assises de la Seine, le 3 mai 1849.